« Œuvres complètes. Tomes I et II », de Charles Baudelaire, édité sous la direction d’André Guyaux et Andrea Schellino, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 760 p. et 1 792 p., 75 € chacun.
Avec Charles Baudelaire (1821-1867), jamais le dernier mot ne peut être prononcé, tant sa lecture déconcerte. Il y a toujours du divers et du nouveau, même dans la nouvelle édition, la troisième, des Œuvres complètes du poète qui paraît dans « La Pléiade » sous la direction de deux spécialistes du XIXe siècle, André Guyaux et Andrea Schellino.
Baudelaire inaugura d’ailleurs la collection créée par Jacques Schiffrin en 1931, avant même qu’elle soit intégrée à Gallimard, deux ans plus tard. Une deuxième « Pléiade », orchestrée par Claude Pichois, suivit en 1975, précédée par deux tomes de correspondance en 1973. Si le corpus baudelairien établi par Eugène Crépet (1827-1892), éditeur et admirateur de l’auteur des Fleurs du mal dès la fin du XIXe siècle, reste inchangé – seules d’autres lettres pourraient encore surgir de collections privées –, le parti pris de la nouvelle édition offre à l’amateur un regard rafraîchi sur une œuvre qui se lit aujourd’hui à travers le monde entier.
Les éditeurs ont opté en effet pour un classement strictement chronologique des publications et des textes posthumes, depuis les vers latins du collégien de Louis-le-Grand jusqu’aux célèbres exercices de détestation d’une Belgique dont l’accueil l’avait déçu, peu avant la fin de sa courte existence. Ne plus regrouper les textes par genre (poésie, critique, etc.) contribue à mettre en relief la pensée et la poésie baudelairiennes, leur développement, leur logique et leur cohérence. Les œuvres lyriques alternent avec la critique. Même les connaisseurs seront désormais davantage en mesure d’appréhender l’œuvre comme un tout.
Un système philosophique en mouvement
Grâce à l’exercice proposé par cette édition (l’œuvre s’éclairant par elle-même, et le poème par l’essai), l’extrême simplicité de certains vers (« Ange plein de beauté… », « Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches »), la naïveté de certaines tournures (« A la très chère, à la très belle », « Je n’ai pas oublié, voisine de la ville,/ Notre blanche maison, petite mais tranquille ») prennent une tout autre épaisseur. Leur auteur ne les a nullement choisis à titre de « bibelots d’inanité sonore », selon l’expression du fervent disciple que fut Stéphane Mallarmé (1842-1898). Au contraire, en parcourant Baudelaire au rythme de ses travaux et de ses jours se dégage un système philosophique en mouvement, qui jette une lumière nouvelle sur des mots apparemment anodins : « Comme de longs échos qui de loin se confondent,/ Dans une ténébreuse et profonde unité ».
Il vous reste 49.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.