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J. L. Austin repense le langage

Le philosophe britannique, mort en 1960, a connu une immense postérité intellectuelle avec « Quand dire, c’est faire », analyse novatrice de la façon dont le langage façonne la réalité. Une nouvelle traduction permet de revisiter ses concepts-clés.

Par  (Philosophe et collaborateur du « Monde des livres »)

Publié le 29 juin 2024 à 08h00, modifié le 29 juin 2024 à 08h00

Temps de Lecture 6 min.

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Le philosophe J. L. Austin (à droite), à l’université de Birmingham, en 1952.

Dans les domaines de la pensée, la voie de la philosophie n’est pas une route en ligne droite au bord de laquelle se trouveraient les hôtels des grands systèmes philosophiques, où s’arrêter comme en autant d’œuvres étapes vers l’accomplissement progressif de l’esprit. La nouvelle édition de Quand dire, c’est faire, célèbre recueil de conférences prononcées en 1955 à Harvard (Massachusetts) par le philosophe britannique John Langshaw Austin (1911-1960), rappelle que l’histoire de la philosophie est faite de voies plurielles, d’embranchements multiples, de tournants vertigineux et de surgissements fulgurants, y compris sur des chemins d’apparence modeste. Il y va ainsi de l’œuvre d’Austin, qui a traversé la philosophie comme un « météore », pour reprendre un mot qu’affectionne Bruno Ambroise, qui a traduit, édité et introduit le présent texte.

Mort à 48 ans sans avoir publié aucun ­livre de son vivant, J. L. Austin a lancé dans ses conférences des idées qui font du recueil Quand dire, c’est faire l’un des ouvrages de philosophie anglo-saxonne contemporaine les plus cités au monde. Engagé dans le « tournant linguistique » de la philosophie (voir ci-dessous), le professeur à Oxford se situe pourtant loin de la technicité des grands concepts philosophiques. Au cœur des paroles quotidiennes, ordinaires, il repère des usages qui reconfigurent totalement le rapport de notre langage à la réalité. Il montre ainsi que nos mots ne font pas que décrire le monde, mais y agissent. Nous comprenons alors avec Austin « comment faire des choses avec des mots ».

Performatif

Venu du verbe anglais to perform (« accomplir »), le néologisme « performatif » forgé par J. L. Austin désigne un type d’énoncé linguistique qui accomplit un acte, et que le philosophe distingue des énoncés « constatifs », qui décrivent une réalité. Par exemple, faire une promesse, dire « je vous salue » ou déclarer « la séance est ouverte », ou « je te parie six pence qu’il pleuvra demain », ou encore, écrit le philosophe anglais, « je baptise ce bateau le Queen Elizabeth ! – tel qu’on l’énonce en lançant une bouteille contre la proue du navire »… Dans tous ces cas, parler ne revient pas simplement à dire quelque chose, mais à faire quelque chose. En l’occurrence, donner sa parole, saluer, ouvrir la séance, parier, baptiser un ­bateau.

Mais attention (on notera que ce dernier mot ne décrit rien mais vise ici à attirer effectivement l’attention) : la performativité du langage découverte par Austin n’est pas une force magique attachée à la forme de certains énoncés. Elle dépend de certaines conditions, comme être autorisé à ouvrir la séance, avoir six pence en poche ou être le propriétaire du bateau, sans quoi ces énoncés performatifs échoueraient à accomplir quoi que ce soit. Ni vrai ni faux, le discours performatif est donc « heureux » ou « malheureux », il réussit ou il échoue, selon ses « conditions de félicité ». C’était d’ailleurs le sens de la critique faite par le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) à une certaine lecture d’Austin : ce sont les conditions sociales qui confèrent du pouvoir aux mots, et non une forme linguistique. Soit, mais, sans cette forme d’acte de parole, ce pouvoir resterait lettre morte, et le Queen Elizabeth ne pourrait jamais naviguer.

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