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Tciman, le canot de l’héritage atikamekw

Tciman, le canot de l’héritage atikamekw

De jeunes Atikamekw d'Opitciwan parcourent les eaux du réservoir Gouin afin de préserver leurs pratiques culturelles.

Texte et photos : Gabrielle Paul

Publié le 6 octobre 2022

Au cœur du Nitaskinan, le territoire ancestral des Atikamekw, le silence habituel est rompu par quelques rires, des sauts dans l’eau et la chanson Take me home, country roads de John Denver provenant d’un haut-parleur.

Le projet Tciman
Le projet Tciman

Ce sont des jeunes de la communauté d'Opitciwan, en Haute-Mauricie, qui profitent des derniers jours de l’été. L'optimisme et la félicité qui planent ne laissent pourtant pas transparaître l’importance de ce qui se passe à ce moment-là.

Ces jeunes, à partir de 12 ans, prennent part au projet Tciman (qui signifie canot), organisé par les Services sociaux d’Opitciwan. Pendant une semaine, ils parcourent les eaux du réservoir Gouin en canot en compagnie d’aînés et d’autres membres de leur communauté.

Un jeune se prépare au départ sur la plage Tomak d'Opitciwan.
Un jeune se prépare au départ sur la plage Tomak d'Opitciwan.  Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

Le groupe doit parcourir une dizaine de kilomètres par jour avant de camper pour la nuit et reprendre son expédition le lendemain.

Une trentaine de personnes, réparties dans 12 canots, prennent part au voyage d’août 2022.

C’est beaucoup de gens, souligne l’organisatrice du projet Martine Denis-Damée, intervenante aux Services sociaux.

En juillet, on avait moins de participants, précise-t-elle.

Martine Denis-Damée a participé aux premières expéditions du projet Tciman, il y a 25 ans, alors qu’elle était elle-même adolescente.

Après plusieurs années sans que le projet ait lieu, elle a décidé de reprendre le flambeau et de l'organiser à nouveau.

Une femme porte un gilet de sauvetage.
Martine Denis-Damée, organisatrice du projet Tciman, a participé aux premières expéditions dans les années 1990. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

L’expédition est par ailleurs devenue une occasion de préserver et faire vivre certaines pratiques culturelles. Il y a le canot, mais on peut aussi pêcher, chasser, cueillir des bleuets, énumère-t-elle.

Chaque jour, au terme des kilomètres parcourus, les jeunes et leurs accompagnateurs doivent construire leur campement.

Ainsi, aussitôt arrivées sur le site qui sera occupé pour la nuit, Ashley Awashish et Maggie Petiquay s’affairent à installer leurs tentes.

Ce n’est pas la première fois qu’on participe, relate timidement Ashley avec son amie qui acquiesce derrière elle.

Elles ont visiblement de l’expérience. Elles placent avec aisance le sapinage, le tapis de sapin qui permet d’isoler le sol, et leurs tentes sont rapidement debout.

Même à 14 ans, elles démontrent une certaine maîtrise des connaissances ancestrales. Il n'y a rien à faire l’été et c’est juste le fun d’être avec nos amis, conclut toutefois Ashley.

Pour les deux amies, le projet est avant tout une manière d’occuper leur été, mais pour d’autres participants, c’est aussi une occasion de resserrer les liens entre les générations.

À quelques mètres de là, un canot vient d’accoster. À bord, Jenny Chachai, qui, à 70 ans, est l’aînée des pagayeurs, et son petit-fils Melvin. Il fait très chaud, lance tout bonnement Mme Chachai.

Ils viennent de finir leur trajet de la journée sous un ciel ensoleillé dont la chaleur est amplifiée par la réflexion de l’eau.

Il faudrait monter la tente, mais est-ce qu’on va avoir de la place?, se demande-t-elle, ricaneuse, entre deux gorgées d’eau.

Son petit-fils profite lui aussi du temps passé avec les autres jeunes et partage une tente avec certains d’entre eux, mais le jour, c'est aux côtés de sa kokom qu’il pagaie.

Un jeune homme et une aînée à bord d'un canot.
Le projet Tciman permet à Jenny Chachai de passer du temps en territoire avec son petit-fils. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

Tenir les jeunes loin de la consommation
Tenir les jeunes loin de la consommation

Le projet Tciman était, au départ, une initiative pour éloigner les adolescents de la consommation de drogue et d’alcool pendant les vacances scolaires et les initier à un mode de vie actif. C’est Serge Awashish, l’actuel directeur des Services sociaux, qui a mis sur pied la première expédition dans les années 1990, dont faisait partie Martine Denis-Damée.

Cet ancien policier a saisi l’ampleur des problèmes qui touchaient sa communauté.

Ça brassait pas mal pendant ces années-là, se souvient-il alors qu’il visite les jeunes à leur campement.

Un homme portant des verres fumés et un gilet de sauvetage est assis en forêt.
Pour Serge Awashish, les expéditions du projet Tciman ont été une manière de développer des liens positifs avec les jeunes. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

Les gens voient parfois les jeunes qui ont ces problèmes-là comme des criminels, mais ils ne sont pas comme ça, relate M. Awashish tout en esquivant des moustiques. « Quand on entre en relation avec eux et qu’on les écoute, ils se livrent et on peut mieux les comprendre. »

Quand il était organisateur du projet, il passait des soirées entières à discuter avec eux.

Au fil des expéditions, les adolescents se sont ouverts à discuter de leurs problèmes à la maison ou à l’école.

Plusieurs jeunes avaient de gros problèmes de drogue à l’époque, se souvient Mme Denis-Damée. Ça nous a aidés à nous tenir loin de tout ça.

« Aujourd’hui, c’est moins la drogue, mais c’est plus l’Internet, les téléphones et les jeux vidéo. »

— Une citation de   Martine Denis-Damée, organisatrice du projet Tciman

Le soir, avant le couvre-feu, les gars parlent souvent du jeu vidéo Fortnite, illustre-t-elle.

Des canots sur la berge.
Des canots sur la berge. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

C’est au fil des ans que de nouvelles vocations ont émergé du projet Tciman.

Les diverses expéditions ont, entre autres, permis de transmettre l’histoire du territoire aux jeunes, se rappelle Serge Awashish.

Par exemple, il a pu leur raconter comment l’ancien emplacement de la communauté a été submergé par la création du réservoir Gouin.

Ils sont toujours fascinés et intéressés par cette histoire-là, souligne-t-il.

Une manière de s’affirmer
Une manière de s’affirmer

Le trajet qu’emprunte l’expédition a été pensé par Joey Awashish, qui accompagne et guide le groupe.

Une tasse de thé à la main, il émerge de sa tente, entraînant avec lui l’odeur du sapinage.

C’est un territoire non cédé, affirme-t-il entre deux gorgées de son thé. C’est une façon d’occuper notre territoire et de montrer qu’on est toujours ici.

Le trajet de cette édition du projet Tciman s’effectue dans la partie ouest du Nitaskinan d’Opitciwan; un secteur que fréquentent différemment les membres de la communauté depuis l’installation des pourvoiries.

Sur leur parcours, les jeunes croisent chaque jour des bateaux de pêcheurs non autochtones.

La discussion avec Joey Awashish est d’ailleurs interrompue lorsque passe une embarcation de pêcheurs, clients d’une pourvoirie située tout près.

Environ une dizaine de pourvoiries se trouvent dans les alentours, estime-t-il.

Ces pourvoiries reçoivent des clients québécois et américains.

Des tensions sont déjà survenues entre des Atikamekw d’Opitciwan et ces pêcheurs, il y a plusieurs années. Maintenant, ça se passe bien, constate Joey Awashish, alors qu’il regarde le bateau s'éloigner. Les pourvoyeurs comprennent mieux ce qu’on fait.

Laisser le canot reprendre sa place
Laisser le canot reprendre sa place

À Opitciwan, le canot a toujours eu une place centrale. Les cours d’eau entourant la communauté se comptent par centaines.

Avant, tout le monde se déplaçait sur le territoire en canot, raconte Joey Awashish. Dans les années 1970, quand il a commencé à y avoir les chemins forestiers, les gens ont commencé à prendre plus les voitures.

La communauté d’Opitciwan a effectivement été longtemps isolée. Le développement rapide de l’industrie forestière sur le Nitaskinan l'a obligée à changer et à s’adapter tout aussi rapidement.

À l'instar de leurs ancêtres, les participants au projet peuvent parcourir une dizaine de kilomètres par jour en canot.
À l'instar de leurs ancêtres, les participants au projet peuvent parcourir une dizaine de kilomètres par jour en canot. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

Cependant, la revitalisation des pratiques traditionnelles prend de plus en plus d’ampleur, d’après Joey Awashish, et pas seulement à Opitciwan.

Un autre projet de canot réunit les trois communautés atikamekw : Opitciwan, Wemotaci et Manawan.

Le projet Tapiskwan, qui tire son nom de Tapiskwan Sipi (la rivière Saint-Maurice en atikamekw), s’adresse aux jeunes un peu plus âgés, puisque les participants doivent parcourir des centaines de kilomètres entre les trois communautés.

C’est tellement une belle expérience, dit Joey Awashish, le regard brillant, lui-même l’un des instigateurs de Tapiskwan.

C’est une manière de se rassembler, ajoute-t-il. Et c’est quelque chose de voir tous ces gens qui nous attendent lorsqu’on arrive à Manawan.

Réunir la communauté
Réunir la communauté

En fin de journée, les campements ont tous pris forme sur l’île et les jeunes se sont dispersés. Certains en profitent pour continuer à canoter dans les environs, alors que d’autres optent pour la baignade.

Sur la rive, Jérome Chachai, vêtu de son uniforme de policier, est assis à l’ombre. « La vie est belle! », affirme-t-il, alors que résonnent encore tout près des airs country.

Jérome Chachai assure chaque jour, pour le projet Tciman, une navette entre Opitciwan et les différents sites de campement afin d'apporter des provisions manquantes ou de ramener un jeune qui désire rentrer chez lui.

En tant que capitaine, comme il se surnomme lui-même, il est de toutes les expéditions.

Un homme conduisant un bateau sourit à la caméra.
Jérome Chachai est policier à Opitciwan. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

« C’est vraiment beau de les voir », dit-il, le regard rayonnant de fierté en observant au loin quelques jeunes dans des canots.

L’heure du souper approche et au menu : des dorés frais du jour!

Les poissons sont apprêtés par deux membres de la communauté qui accompagnent le groupe à titre de cuisiniers.

L’un d’eux, Donovan Weizineau, est aussi le neveu de Martine Denis-Damée.

Moi aussi j’ai participé aux voyages en canot, dit-il dignement.

J’aime ça pouvoir m’impliquer encore et pouvoir aider ma tante, ajoute-t-il.

Des liens se tissent facilement entre les jeunes et les membres de la communauté qui les accompagnent et les visitent, dont des aînés.

Sur le territoire, il y a moins de distractions, observe Joey Awashish.

Un jeune homme se tient debout devant des conifères.
Joey Awashish est guide pour l'expédition d'août 2022. Photo : Radio-Canada / Gabrielle Paul

Les jeunes sont vraiment fiers d’eux à la fin, de voir qu’ils ont été capables de faire ça, et leurs parents aussi sont fiers d’eux, poursuit-il. C’est de la fierté pour toute la communauté.

En début de soirée, Martine Denis-Damée doit rentrer à Opitciwan avec Jérome Chachai.

Ça me fait de la peine de devoir partir, confie-t-elle pensive. J’aimerais pouvoir rester avec eux, mais quelqu’un doit bien tenir les parents au courant de comment ça se passe.

Trois canots sur l'eau, au loin.

Un document réalisé par Radio-Canada Espaces autochtones

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