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Entretien

Mobilisation en Haïti pour le départ d'Ariel Henry: «C’est comme si on luttait pour notre 2e indépendance»

Il s’était engagé à passer la main ce 7 février 2024 : le Premier ministre Ariel Henry, au pouvoir depuis l’assassinat en juillet 2021 du président Jovenel Moïse, est toujours en place. De nombreux Haïtiens réclament son départ dans la rue depuis plusieurs jours. Un départ demandé aussi par le groupe Montana, initié par la société civile en 2021 pour trouver une solution haïtienne à la crise. Monique Clesca, ex-fonctionnaire des Nations unies, en est l’une des signataires.

Les Haïtiens mobilisés contre Ariel Henry, qui selon eux, n’a rien fait pour rétablir un climat sécuritaire dans le pays. Port-au-Prince, le 6 février 2024.
Les Haïtiens mobilisés contre Ariel Henry, qui selon eux, n’a rien fait pour rétablir un climat sécuritaire dans le pays. Port-au-Prince, le 6 février 2024. REUTERS - RALPH TEDY EROL
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Depuis un accord signé entre le gouvernement d’Ariel Henry et quelques partis politiques le 21 décembre 2022, il n’y a pas eu d’élection en Haïti, contrairement aux engagements pris en vertu de ce texte. La crise politique, sécuritaire, sociale et humanitaire s’est considérablement aggravée. Votre groupe, issu de la société civile, qui tente de trouver une solution à la crise haïtienne, réclame une transition depuis le printemps 2021. Est-elle toujours possible ?  

Monique Clesca : Elle est toujours possible. Nous y travaillons. Nous avons mis en place et publié des mécanismes pour la transition. Nous proposons une transition de 24 mois pour rompre avec les pratiques criminelles, injustes, des gouvernements comme celui d'Ariel Henry et de ceux qui l'ont précédé, et pour mettre en place un climat de paix. Nous voulons organiser des élections honnêtes où les Haïtiens pourront regagner confiance dans le système électoral. Nous voulons aussi résoudre les problèmes humanitaires : en une année, de 2022 à 2023, les assassinats ont augmenté de pratiquement 120 %, les kidnappings de pratiquement 83 %, et les viols de filles et de femmes ont augmenté de façon vertigineuse. Un tiers de la population va au lit avec la faim dans le ventre. « Ariel Henry est passé et il a détruit mon pays » : c'est ce que les Haïtiens disent ces jours-ci dans les manifestations.

Les manifestations de ces derniers jours ont déjà fait plusieurs morts, elles sont soutenues par certains hommes politiques. L’un d’entre eux, un ancien sénateur, appelle les Haïtiens à « détruire le pays ». Quelle est votre réaction à ces propos ? 

C'est inacceptable. Nous ne sommes pas pour la violence et nous ne l’avons jamais encouragée. Le pays est déjà effondré. Nous appelons la population qui est en train de manifester à le faire dans la paix. Mais attention : des manifestations ont commencé de manière très pacifique et se sont envenimées quand la police a commencé à bombarder les gens avec du gaz lacrymogène. Donc si la police elle-même respectait les manifestants, la plupart des manifestations auraient été non-violentes. Nous voudrions que la police ait la capacité de nous soutenir et de nous protéger quand nous sommes en train de revendiquer nos droits.

Pour le gouvernement d’Ariel Henry, pas de transition sans rétablissement de la sécurité, et cela passe par une intervention internationale. À la fin du mois dernier, la justice kényane s’est opposée à l’envoi d’une force de soutien à la police haïtienne. Le groupe Montana s'est toujours opposé à ce déploiement. Est-ce que ce refus de la justice kényane retarde encore la transition ? 

Mais on ne peut pas mettre la question de la transition et de la gouvernance d'Haïti entre les mains d'un juge, d'un président ou de mille troupes du Kenya ! La question doit être entre les mains des Haïtiens. Et cela montre justement la démission de ce gouvernement d'Ariel Henry. On peut demander de l'aide, mais il faut assumer la responsabilité de la sécurité de ses citoyens. Madame Emmelie Prophète, une soi-disant ministre de la Sécurité publique, ose dire que c'est parce que les troupes tardent à venir qu'il y a de l’insécurité. C'est faux ! C'est aux Haïtiens et aux Haïtiennes de résoudre leurs problèmes et de proposer des solutions avec, si nous en avons besoin, l'aide internationale. Mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés et demander l'aumône aux Kényans qui ont leurs propres problèmes et penser qu’ils vont nous sauver. La transition qui doit venir est une transition de rupture avec ce gouvernement démissionnaire et incompétent.

Vous faites référence à l'interview sur notre antenne de la ministre Emmelie Prophète-Milcé. Elle expliquait aussi dans cet entretien mi-janvier que « tous les efforts étaient faits pour élargir le gouvernement et parvenir à un climat plus consensuel ». Si « ce grand gouvernement d’unité n’était pas obtenu d’ici au 7 février », elle disait espérer que « le Premier ministre allait y parvenir soit en mars, soit en avril ».  Quelle est, selon vous, la première étape de cette transition ? 

La première étape, c'est de chasser les Emmelie Prophète et les Ariel Henry. Ce sont des incompétents. Il faut des gens responsables, des Haïtiens et des Haïtiennes qui ont le pays comme boussole et qui ne sont pas là pour faire de l'argent ou pour avoir le pouvoir. Il faut une feuille de route pour résoudre la situation humanitaire catastrophique et travailler à un climat de paix dans lequel les Haïtiens pourront se sentir en confiance et aller vers des élections. Montana a mis en place des mécanismes qui ont été largement partagés. Nous avons fait des propositions qui tiennent la route. Nous appelons à un consensus d'autres forces progressistes qui veulent qu’Haïti aille de l'avant et sorte de ce bourbier. La population a le droit de faire savoir qu’elle ne veut plus de ce régime criminel. Le fait que les manifestants soient dans la rue ne va pas pousser Ariel Henry à démissionner, mais ces manifestations sont un élément, avec le travail que nous faisons, pour trouver un consensus avec des forces politiques et des forces sociales. C’est aussi un moyen de dire à nos partenaires au niveau international : « Écoutez le peuple haïtien qui ne veut plus de ces criminels qui ont brisé notre pays ». Cela peut aussi être une négociation avec le régime en place pour lui dire : « Écoutez la rue, écoutez les Haïtiens et les Haïtiennes qui vous disent qu’ils ne veulent plus de vous, car vous êtes en train d'amener le pays vers son effondrement le plus total ». 

En 2021, l’Accord de Montana a suscité énormément d’espoir. Pourtant, à ce jour, il ne trouve aucune application concrète. Est-ce que vous n’avez pas aussi pâti de divisions au sein de la société civile qui ont retardé cette transition ? 

Nous sommes un microcosme de la société haïtienne. Quel que soit le pays, avec 11,5 millions de personnes, nous ne pouvons pas avoir une société civile totalement homogène et que tout le monde soit d'accord. Je n'ai aucun problème à l'assumer. Mais sur les fondamentaux, nous sommes tous d’accord : cela fait trop longtemps qu’Haïti est sous l’obédience de l’Occident, nous ne pouvons plus avoir des régimes criminels au pouvoir, il faut que nos enfants aillent à l’école et aient un système de santé de base pour être en bonne santé, ainsi que d’autres éléments de justice sociale.

Que répondez-vous aux Haïtiens qui ne croient plus aujourd’hui à aucune solution - haïtienne ou internationale -, et qui sont dans le désespoir ?  

C'est normal qu'il y ait ce désespoir quand on est en train de nous tuer, qu’on est en train de violer nos filles, nos sœurs, nos cousines, nos mères. C'est normal que nous ayons ce désespoir quand les usines sont en train de fermer leurs portes, quand l'économie régresse depuis quatre ans. C’est le régime en place qui est responsable de cette situation. Nous comprenons ce désespoir, mais nous disons qu’il faut ramasser tout ce qu’il reste de notre dignité et de notre souveraineté pour mettre en place un gouvernement qui irait vers des solutions à cette crise. Il faut dépasser ce désespoir puisque c'est une lutte. C'est comme si on était en train de lutter pour notre deuxième indépendance. Indépendance face à un régime criminel, indépendance de l'international qui a son genou sur notre cou. Donc, il faut que nous resserrions les rangs. Nous appelons aussi nos partenaires de l’international à nous aider, mais à nos conditions ! Notre destin ne peut pas être décidé au département d'État ou au Quai d'Orsay. 

Dans une autre interview, vous soutenez que le groupe Montana a des liens réguliers avec des représentants américains. Approuvent-ils cette solution haïtienne ? 

C’est là le double jeu des Américains, des Français ou des Canadiens. Ils nous disent qu’Ariel Henry est le seul légitime alors qu’il n'a aucune légitimité. Ce sont eux qui l'ont mis en place avec un tweet. Ensuite, ils disent « oui, mais » à une solution haïtienne. Ils ajoutent un petit A, un petit B, un petit C. Nous souhaitons qu'ils finissent par nous écouter. C'est une lutte, et dans toute lutte de libération, cela prendra le temps qu’il faudra.

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