Cela a parfois ressemblé à un enterrement sans fin. Certains sont venus à la barre tout en noir. Certains ont relu le discours qu’ils avaient lu au cimetière il y a six ans. Beaucoup ont pleuré. Pendant ce temps, le portrait des défunts, en vie et souriants, occupait l’écran géant derrière la cour. Raphaël posant comme James Bond. Thomas, une pinte de bière à la main. Anne et Pierre-Yves sur un bateau. Valentin dans sa robe de jeune avocat. Lola en robe d’été. Quentin en nœud papillon. Emmanuel poussant ses deux enfants dans une brouette.
Il s’agissait de donner un visage et un peu de chair à ceux qui n’étaient jusqu’alors que des carrés ou des points sur les plans du Bataclan, de raconter la vie d’un enfant, d’une sœur, d’un conjoint, d’une cousine disparus, de dire qu’on les aime et qu’on ne les oublie pas. On a entendu l’hommage d’une fille de 13 ans – elle en avait 7 en 2015 – à son père, et celui d’un grand-père de 77 ans à sa petite-fille morte quand elle en avait 17.
L’exercice est habituel aux assises, mais le nombre de victimes du Bataclan lui a donné des proportions inédites. Près de la moitié des 90 personnes tuées dans l’attaque de la salle de concert ont été honorées par leurs proches pendant cinq jours, du mercredi 20 au mardi 26 octobre, à raison d’une quinzaine de dépositions par jour. Soixante-quinze nuances d’oraison funèbre.
« Nos angoisses, nos doutes, nos fêlures sont de l’ordre de l’intime, et l’intime ne se partage pas, me semble-t-il », a dit un père ayant perdu son fils. Certains l’ont partagé en longueur. Le président de la cour, Jean-Louis Périès, n’a interrompu personne, même quand on s’éloignait franchement du Bataclan. Les parties civiles ont été nombreuses à le remercier pour cette écoute totale.
Attente interminable
Les rescapés avaient décrit l’enfer du Bataclan vu de l’intérieur. Les proches des disparus ont raconté la catastrophe vécue depuis l’autre bout de Paris, de la France, ou du monde – des gens sont venus d’Angleterre, d’Espagne, d’Algérie, ou du Chili pour honorer la mémoire d’un mort. Comme pour les rescapés, chaque récit se ressemble, et chaque récit est unique. Soixante-quinze nuances d’une soirée qui s’enfonce dans l’obscurité au fil des minutes et des SMS dans le vide.
22 h 22, Zahra écrit à sa sœur Hélène : « Coucou, tout va bien, vous êtes chez vous ? » Pas de réponse. « Vous êtes où ? », demande Nadine à son fils Valentin à 22 h 39. Pas de réponse. 22 h 53 : « Donnez-nous des nouvelles. » Pas de réponse. Christiane recommande à sa fille Cécile de prendre ses précautions. Pas de réponse. « Elle est peut-être loin de son portable. » Jocelyne tente aussi de se rassurer, son fils Nicolas ne fait pas signe : « Si je n’ai pas de nouvelles de la police, c’est qu’il doit être vivant. » Hacène, au contraire, s’inquiète : « Connaissant Thomas, s’il n’avait rien eu, il aurait trouvé un moyen pour donner des nouvelles. » « Coucou papa, tu as vu ce qui se passe ? », écrit Nino, 15 ans, à son père. Pas de réponse. « J’ai eu un pressentiment horrible, je me rappelais avoir vu des places de concert la semaine d’avant chez lui. »
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