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La Gaule celtique
Yann Le Bohec
Professeur d’histoire romaine à l’université Paris IV-Sorbonne


Éduens, Séquanes et Bituriges, s'ils n'avaient guère conscience de faire partie d'une même entité géographique – cette Gaule dont César entreprit la conquête – n'en étaient pas moins des peuples celtes. Nous avons demandé à Yann Le Bohec de nous apporter, à la lumière des trouvailles archéologiques et des textes anciens, quelques précisions sur l'organisation sociale, l'économie, le panthéon et les réalisations artistiques de « nos ancêtres les Gaulois ».


Aux origines de la civilisation gauloise

Le territoire que nous appelons « Gaule » couvrait une superficie qui dépasse largement la France actuelle. Il était limité par l'Atlantique à l'ouest, les Pyrénées et la Méditerranée au sud, les Alpes et le Rhin à l'est et au nord. Dès la préhistoire, qu'on appelait jadis « âge de la pierre », et pendant l'âge du bronze, des hommes avaient peuplé cet immense domaine. On ignore ce que ces premiers habitants sont devenus. Certains historiens pensent qu'ils ont été anéantis par les Celtes, qui leur ont succédé. Il est plus probable qu'ils se sont fondus dans les nouveaux arrivants et ont été, selon l'expression consacrée, « acculturés ». Cette deuxième hypothèse permettait de comprendre l'originalité de la civilisation gauloise. Les Celtes constituaient une branche d'un peuple plus vaste, les Indo-Européens, difficiles à connaître car aucun historien de l'Antiquité n'en parle, mais qui possédaient une culture commune, attestée par des similitudes linguistiques et des mythes partagés : la langue gauloise ressemblait à celle des anciens Germains, Scandinaves, et autres peuples indo-européens, comme de nos jours l'italien et l'espagnol s'apparentent au français. L'histoire du guerrier qui garde un pont à lui tout seul pour barrer la route aux ennemis se retrouve chez les Romains avec Horatius Coclès, comme chez les Irlandais avec Cuchulainn et on pourrait en multiplier les exemples.


Migrations celtes

Les Celtes ouvraient une nouvelle ère dans l'histoire de la Gaule, car ils apportaient avec eux le fer, plus résistant que le bronze, ce qui explique la facilité relative de leur conquête. Leur installation dans ce pays s'est faite sur une longue durée. Ils ne sont pas arrivés en une fois, mais peuple après peuple, tout au long de huit siècles, du VIIIe au Ier siècle avant J.-C., depuis la vallée du Danube ; de la sorte, il faut considérer comme impropre le terme d'« indigènes » qui est parfois utilisé à leur propos. Les archéologues distinguent deux grandes périodes dans ces migrations. Le premier âge du fer, qui dure du VIIIe au Ve siècle, est appelé « période de Hallstatt », du nom d'un site autrichien qui a été bien fouillé. Les nouveaux venus se sont installés surtout dans le Nord, et en particulier dans la vallée de la Marne, où ont été retrouvés des tumulus sous lesquels étaient enterrés des aristocrates, accompagnés pour l'éternité par leur armement, leur cheval et leur char de parade. Le deuxième âge du fer est connu sous le nom de « période de La Tène », du nom d'un site suisse qui a été bien exploré ; il dure du Ve siècle à la conquête romaine, qui commence en 58 avant J.-C. avec la dernière migration, celle des Helvètes. Ceux-ci voulaient aller de la Suisse actuelle vers notre Saintonge, et c'est précisément ce mouvement qui a servi de prétexte à César pour intervenir en Gaule.


De nombreuses influences extérieures

Mais, à l'époque de Hallstatt comme à celle de La Tène, les Celtes n'ont pas vécu en vase clos et ont subi des influences : d'abord celles des Grecs et des Macédoniens par les cols des Alpes puis des Marseillais par la vallée du Rhône. Le célèbre trésor de Vix, fabriqué par des Grecs et trouvé en Bourgogne, illustre l'importance des échanges. En fait, parce que la Gaule était immense et parce qu'elle a été peuplée sur une longue durée, les peuples qui l'occupaient présentent une grande diversité. Au nord, les Belges, derniers arrivés, étaient mêlés d'éléments germaniques et avaient conservé une certaine rudesse de mœurs. Dans les régions de l'Armorique, la pêche et le commerce maritime avaient développé la prospérité et favorisé une large ouverture. Les peuples du centre – Sud du Bassin Parisien et Morvan – auraient mieux conservé leur spécificité s'ils n'avaient rencontré des marchands grecs puis italiens. Dans le Midi, les Gaulois s'étaient mêlés aux Ibères à l'ouest et aux Ligures à l'est, produisant d'un côté la civilisation celtibérique de notre Languedoc, bien connue à Ensérune, et d'un autre la civilisation celto-ligure de la Provence, identifiée à Entremont.

La civilisation celtique la mieux connue est celle de La Tène, et surtout celle de La Tène finale, parce que les auteurs grecs et latins en ont parlé. Elle présente des caractères communs à tous les peuples de l'Antiquité et d'autres qui lui sont propres.


Bière et beurre en Gaule du Nord, huile et vin en Gaule du Sud

Du point de vue économique, comme partout, c'était la culture du blé qui prédominait ou plutôt l'orge et le millet. Mais on peut distinguer une Gaule du Nord, où l'on buvait de la bière et où l'on faisait la cuisine au beurre, d'une Gaule du Sud, caractérisée par le vin et l'huile. Dans le Nord, on avait inventé des instruments aratoires perfectionnés pour l'époque, une moissonneuse constituée par une caisse montée sur des roues et équipée à l'avant de dents qui coupaient les épis. La consommation de cervoise et d'hydromel y avait entraîné une innovation capitale, le tonneau. La forêt y jouait également un grand rôle. Le bois, pour le chauffage, la construction des maisons, des bateaux et des chariots, venait de forêts où l'on élevait des porcs en semi-liberté, et dont l'étendue donne matière à débats. Pour l'élevage, outre les bœufs, les chevaux jouaient un grand rôle social : ils caractérisaient les élites, les chevaliers. Dans le Sud, au contraire, les chèvres et les moutons étaient privilégiés. L'artisanat utilisait le bois, le fer et le textile. Le commerce était en partie aux mains de Grecs et d'Italiens, comme on l'a dit, et les importations de vin ont laissé des milliers d'amphores, car les aristocrates offraient volontiers du vin aux personnes qu'ils voulaient honorer et en consommaient sans aucun doute de grandes quantités.


Chevaliers, druides, artisans et esclaves

La société était dominée par une élite peu nombreuse. Au sommet, se trouvaient précisément ces aristocrates, que l'on appelait chevaliers. Ils possédaient de grands domaines, de nombreux esclaves et des ateliers monétaires, et contrôlaient autant que possible les échanges. Ils avaient imposé leur pouvoir à de nombreux hommes libres, leurs clients : l'helvète Orgétorix, convoqué devant un tribunal, se fit accompagner par dix mille clients. Ces aristocrates étaient alliés aux prêtres ou druides. Les uns et les autres venaient des mêmes familles : chez les Éduens du Morvan, le noble Dumnorix était le frère du druide Diviciac. Le clergé comprenait d'autres personnages plus humbles et mal connus, le barde, le vates, le gutuater. Il ne semble pas qu'ait existé une classe moyenne. Les hommes libres étaient en effet étroitement soumis aux nobles et réduits au statut de clients qui, chez eux, confinait à l'esclavage, du moins à ce que dit César. Parmi ces clients, les soldures d'Aquitaine devaient accompagner leur chef dans la mort. Seuls les artisans, peut-être pour des raisons religieuses, semblent avoir conservé une relative indépendance. Quant aux esclaves, nombreux dans la société et rares dans les documents, ils échappent à toute enquête.


Un art raffiné et séduisant, mais des dieux terribles

La civilisation celtique fascine les esthètes depuis longtemps. On connaît mal la langue gauloise car elle n'a laissé que peu d'écrits. En revanche, il est possible de percevoir un art séduisant, en particulier dans la sculpture, les monnaies et les bijoux. Hostile au réalisme gréco-romain, il recherchait le symbolisme, représentait le visage par des traits parfois non jointifs. De beaux bijoux ornaient les belles et les élégants, comme les fibules, des épingles qui permettaient de maintenir le vêtement sur l'épaule. Les hommes vivaient dans des agglomérations que César a appelées d'un nom latin, des oppida, et les historiens discutent à l'infini pour savoir si ces oppida étaient ou non de vraies villes.

Le panthéon est mieux connu. César nous dit que les Gaulois adoraient cinq grands dieux, Mercure dieu de la lumière et du commerce, Apollon, dieu du soleil et de la musique, Mars, dieu de la guerre, Jupiter, dieu du ciel d'orage et du pouvoir, et enfin Minerve, déesse de l'artisanat. Le poète Lucain donne des noms celtiques à trois d'entre eux, Esus pour Mars, Taranis pour Jupiter et Teutates. Ces dieux terribles demandaient des prières et des libations, mais aussi des sacrifices ; il paraît d'ailleurs difficile de nier qu'aient eu lieu des sacrifices humains. La découverte récente du charnier de Ribemont-sur-Ancre éclaire les archéologues sur des pratiques liées à la guerre. Les rites étaient célébrés dans de vastes sanctuaires, enclos comprenant des autels en creux, des temples de plan carré ou polygonal.


Inimitiés et dissensions

Ce tableau risque de laisser deux impressions fausses, de faire croire à la puissance des Celtes et à leur unité au moment de l'intervention de César. En fait, le nom même de la Gaule est trompeur. Les Celtes n'avaient aucun sentiment de leur unité, ce que César veut faire croire pour laisser entendre que sa conquête a été difficile et donc qu'il a eu du mérite. Les Éduens du Morvan n'avaient pas de pires ennemis que les Lingons du plateau de Langres, qui détestaient plus que tous autres les Séquanes du Jura. En outre, de nombreux clivages existaient dans chaque peuple. Les pauvres souffraient trop de l'exploitation des riches. Les uns repoussaient l'alliance avec Rome que d'autres recherchaient, préférant un allié dont la capitale est au loin à un voisin trop proche. Enfin, certains peuples, comme les Vénètes du Morbihan ou les Éduens, avaient adopté un régime aristocratique, alors que d'autres, comme les Belges, étaient restés au stade de la monarchie, qu'au demeurant un Vercingétorix souhaitait rétablir. À ces faiblesses sociales et politiques, il faut ajouter la médiocrité militaire : les Celtes se battaient en phalange, alors que les Romains avaient adopté depuis longtemps la tactique en cohortes qui confère plus de souplesse, et ils avaient un armement plus rudimentaire que celui de leurs adversaires. Tout au plus pouvaient-ils se défendre dans le cas d'un siège grâce à l'invention du murus gallicus, encore visible au Mont Beuvray, un mur de poutres et de pierres très solide. En envahissant la Gaule en 58 avant notre ère, César engageait une guerre qu'il ne pouvait pas perdre.


Yann Le Bohec
Mai 2002
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Bibliographie
 

Villes, villages et campagnes de l'Europe celtique Villes, villages et campagnes de l'Europe celtique
Françoise Audouze et Olivier Buchsenschutz
Hachette, Paris, 1989

 

Bibracte, Ville gauloise sur le Mont Beuvray Bibracte, Ville gauloise sur le Mont Beuvray
D. Bertin et J.-P. Guillaumet
Paris, 1987

 

Les Celtes Les Celtes
Paul-Marie Duval
Gallimard, Paris, 1977

 

La Civilisation celtique La Civilisation celtique
Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux
Payot, 1990

 

Histoire des Gaulois Histoire des Gaulois
Émile Thévenot
Que sais-je ? n° 206
P.U.F., Paris, 1996

 

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