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Doc. 9310

11 janvier 2002

Prisonniers politiques en Azerbaïdjan

Rapport

Commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Rapporteur: M. Georges Clerfayt, Belgique, Groupe libéral, démocrate et réformateur

Résumé

En dépit de plusieurs vagues successives de libérations de prisonniers, l’Azerbaïdjan ne s’est pas encore conformé à l’exigence de principe qu’il ne peut y avoir de prisonniers politiques dans aucun Etat membre du Conseil de l’Europe.

Le rapporteur, partant des critères établis pour identifier des «prisonniers politiques» par les experts indépendants désignés par le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, propose à l'Assemblée de demander aux autorités de l'Azerbaïdjan que tous les prisonniers auxquels ces critères peuvent s’appliquer soient libérés ou voient leur procès révisé en conformité avec les principes du Conseil de l'Europe.

I.       Projet de résolution

1.       L’Azerbaïdjan en devenant un membre du Conseil de l’Europe a librement souscrit à l’engagement ferme et incontournable au regard du droit international qui figure au paragraphe 14.iv.b de l’Avis n° 222 (2000), à savoir: «à libérer ou rejuger ceux des prisonniers qui sont considérés comme des «prisonniers politiques» par des organisations de protection des droits de l’homme, notamment M. Iskander Gamidov, M. Alikram Gumbatov et M. Raqim Gaziyev». La commission des questions juridiques et des droits de l'homme a été saisie en janvier 2001 d'une proposition de recommandation (Doc. 8919) renouvelant la préoccupation de nombreux membres de l'Assemblée pour le sort des prisonniers politiques en Azerbaïdjan.

2.       Les autorités de l’Azerbaïdjan avaient connaissance de ces exigences depuis au moins la réunion de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme tenue à Chypre le 22 mai 2000, date à laquelle elle a adopté son avis sur la demande d’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe.

3.       L’Assemblée apprécie l’initiative du Secrétaire général du Conseil de l’Europe de demander à trois experts de préparer un avis confidentiel sur les cas de prisonniers politiques présumés en Arménie et en Azerbaïdjan1. L’Assemblée considère à ce propos que les critères objectifs qui ont été déterminés pour identifier les «prisonniers politiques» en Arménie et en Azerbaïdjan sont valables.

4.       L’Assemblée reconnaît qu’à ce jour, environ 220 prisonniers politiques présumés ont été libérés, dont six sur les 17 reconnus comme tels dans le rapport des experts désignés par le Secrétaire Général.

5.       L’Assemblée prend note du pardon accordé par le Président de la République dans un décret du 29 décembre 2001, qui a libéré 57 prisonniers, dont 29 étaient qualifiés de prisonniers politiques par les organisations non gouvernementales, mais aucun de la liste plus restreinte des experts désignés par le Secrétaire Général.

6.       L’Assemblée prend acte de l’engagement pris, le 3 janvier 2002, par les autorités d’Azerbaïdjan de créer un groupe de travail mixte chargé d’établir clairement la liste de prisonniers considérés comme politiques et toujours pas libérés, en examinant individuellement tous les cas présentés par les représentants de l’Assemblée. Cette coopération nouvelle permettra d’avancer à grands pas vers la solution du problème posé.

7.       Malgré ces résultats encourageants, l’Assemblée demande à l'Azerbaïdjan de faire preuve d'une volonté politique plus forte pour résoudre l'ensemble du problème des prisonniers politiques.

8. En ce qui concerne les trois prisonniers cités dans l’avis n° 222 (2000), l’Assemblée prend acte de la décision prise par le Procureur général, le 26 décembre 2001, d’organiser un nouveau procès. Néanmoins, l’Assemblée demande à l’Azerbaïdjan de considérer à nouveau l’opportunité politique de les libérer, pour éviter de ranimer des faits et des tensions du passé.

9. L’Assemblée demande également que soient libérés les prisonniers politiques restant de la liste des 17 reconnus comme tels par les experts désignés par le Secrétaire général, à savoir le cas n° 5 (Amiraslanov Elchin Samed oglu), le cas n° 7 (Efendiyev Natig Islam oglu), le cas n° 14 (Imranov Nariman Shamo oglu), le cas n° 15 (Kazymov Arif Nazir oglu), le cas n° 16 (Abdullayev Qalib Jamal oglu), le cas n° 17 (Guseynov Suret Davud oglu), le cas n° 18 (Safikhanov Ilgar) et le cas n° 25 (Guseynov Guseynbala).

10. En supplément et comme geste de bonne volonté, l’Assemblée demande le réexamen du cas de quelques présumés prisonniers politiques dont le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a défendu la cause devant les autorités lors de sa visite à Bakou les 27 et 28 décembre 2001.

11.       L’Assemblée réitère qu’il ne peut y avoir de prisonniers politiques dans aucun Etat membre du Conseil de l’Europe.

12.        L’Assemblée se réserve le droit de prendre toutes les mesures utiles à sa disposition pour convaincre les autorités de l’Azerbaïdjan de la nécessité de libérer ou rejuger tout prisonnier considéré comme prisonnier politique conformément à l’engagement pris au moment de l’adhésion.

13.        L’Assemblée décide, comme première mesure, d’organiser un débat d’information sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan, qui sera diffusé par des moyens radiophoniques et télévisuels sur tout le territoire de l’Azerbaïdjan.

II.       Exposé des motifs

      par M. Clerfayt, Rapporteur

A.       Historique et procédures

1.        L’Avis n°222 (2000), voté en juin 2000 par l’Assemblée parlementaire et qui proposait d’admettre l’Azerbaïdjan comme membre, comportait au paragraphe 14. iv. b l’engagement de l’Azerbaïdjan de libérer ou rejuger les détenus que des organisations de protection des droits de l’Homme considéraient comme des prisonniers politiques et notamment MM. Iskander Gamidov, Alikram Gumbatov et Raqim Gaziyev. Les autorités d’Azerbaïdjan ont expressément accepté cette disposition comme toutes les autres inscrites dans le texte de l’avis . Il s’agit donc d’un engagement qui doit être exécuté.

2.        Le texte précité a résulté d’un compromis intervenu en dernière minute. Alerté par diverses ONG sur l’existence de nombreux prisonniers politiques et ayant pu en visiter quelques un en prison, j’avais exposé ce problème aux paragraphes 28 à 32 de mon avis sur la demande d’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe daté officiellement du 6 juin 2000, et j’avais cité cinq noms à titre d’exemple. Deux des cinq ont été libérés début juin et quatre vingt-sept autres considérés aussi comme prisonniers politiques par des ONG l’ont été à la veille du débat de fin juin 2000.

3.        Néanmoins, une majorité des membres de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme avait d’abord estimé que la libération de tous les prisonniers politiques devait être imposée comme condition préalable à l’adhésion.

4.        Il faut noter - et je l’avais fait dans mon rapport au paragraphe 28 - que les autorités d’Azerbaïdjan ont toujours refusé d’admettre l’emploi de l’expression «prisonniers politiques», estimant qu’il s’agissait d’un abus de langage pour les prisonniers condamnés par leurs tribunaux, lesquels, selon elles, ne sont que des prisonniers de droit commun.

5.        Constatant qu’un premier train de libérations venait d’avoir lieu, admettant qu’il était difficile de s’accorder rapidement sur une liste exhaustive de prisonniers politiques et prenant acte de l’engagement pris par les autorités du pays de «libérer ou rejuger les prisonniers politiques», la majorité de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme admit finalement que la condition préalable soit transformée en engagement.

6.        Certes, aucune date n’a été fixée pour l’exécution de l’engagement, mais il va de soi que tant qu’elle n’est pas résolue, cette question entretient le soupçon et la défiance vis-à-vis du pouvoir, hypothèque la bonne image de l’Azerbaïdjan et empoisonne les bonnes relations entre l’Azerbaïdjan et le Conseil de l’Europe. Beaucoup de membres de l’Assemblée ne cessent d’exprimer leur préoccupations pour les prisonniers politiques et leur souci de les voir libérés rapidement.

7.        Durant l’été 2000 et à l’automne de cette année, diverses informations concernant une dégradation du sort concret des trois principaux prisonniers politiques cités dans l’avis de l’Assemblée et la manière dont ils étaient traités sont parvenues chez certains membres de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme. En décembre, ceux-ci ont alors déposé une proposition de recommandation (Doc. 8919, daté du 2 janvier 2001) lançant un appel d’urgence au respect des engagements pris et recommandant au Comité des Ministres de tenir compte de la situation des prisonniers politiques avant de prendre officiellement sa décision sur l’adhésion de l’Azerbaïdjan (celle-ci ayant été différée jusqu'à janvier 2001, en raison des élections parlementaires du 5 novembre 2000 qui devaient connaître un deuxième tour dans une douzaine de circonscriptions, en janvier 2001). C’est à la suite du renvoi de cette proposition de recommandation à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme que j’ai été désigné comme rapporteur sur cette question.

8.        Depuis janvier 2001, à chaque réunion de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, celle-ci m’a demandé de faire rapport sur l’état de la question. Son intérêt pour celle-ci étant vif, elle accueillit, lors de la partie de session d’avril 2001, M. Mourat Sadaddinov, l’un des prisonniers libérés en juin 2000 et qui depuis lors avait fondé une ONG appelée «Fondation d’Azerbaïdjan pour le développement démocratique et la protection des Droits de l’homme.» Il apporta son témoignage et une liste de plus de 250 noms de présumés prisonniers politiques.

9.        En acceptant l’adhésion de l’Azerbaïdjan, fin janvier 2001, le Comité des Ministres se préoccupa de suivre de près le sort des prisonniers politiques ainsi qu’en général, l’exécution des engagements pris par l'Azerbaïdjan, en créant en son sein un groupe de rapporteurs placé sous la présidence de l'Ambassadeur Ago. Celui-ci fit plusieurs visites en Azerbaïdjan avant et après l’adhésion, et notamment au début juillet 2001. Le "groupe Ago" aurait spécialement insisté sur le cas des prisonniers politiques. Il aurait, paraît-il, soumis aux autorités une liste de 204 noms. Ultérieurement, on nous a dit que la "liste Ago" se serait limitée à 50 noms. Récemment, le secrétariat du Comité des Ministres nous a fait savoir qu’il n’y a jamais eu, à proprement parler, de "liste Ago".

10.        Pendant ce temps, début février 2001, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, M. Walter Schwimmer, approuvé par le Comité des Ministres, chargea un groupe d’experts indépendants de faire une enquête sur les prisonniers politiques en Arménie et en Azerbaïdjan. Il s’agissait du professeur Stefan Trechsel, de l’Université de Zurich, ancien Président de la Commission européenne des Droits de l’Homme, du Professeur Evert Alkema de l’Université de Leiden, membre extraordinaire du Conseil d’Etat néerlandais et ancien membre de la Commission européenne des Droits de l’Homme et de M. Alexander Arabadjiev, ancien juge à la Cour constitutionnelle de Bulgarie et ancien membre de la Commission européenne des Droits de l’Homme. Toutefois, à la suite de son élection au Parlement bulgare le 17 juin 2001, la participation au groupe d’experts de M. Arabadjiev a pris fin, à sa demande, à cette date.

11.        La mission des experts consistait à élaborer un avis sur divers cas qui devaient leur être soumis, dont les trois noms figurant à l’Avis n°222 (2000) en indiquant «si les personnes en question pouvaient être considérées comme des prisonniers politiques sur la base de critères objectifs, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et des normes du Conseil de l’Europe». Leur avis devait être remis pour le 30 juin 2001. Le délai a été prolongé jusqu’au 16 juillet.

12.        Les experts ont éprouvé beaucoup de difficultés à remplir leur mission, notamment pour disposer de listes de personnes supposées être des prisonniers politiques, avec suffisamment d’informations sur chacune d’elles (faits reprochés, circonstances d’arrestation, etc...) et pour obtenir des autorités la traduction anglaise des jugements et des lois. Ils se sont plaints de n’avoir souvent reçu, tardivement, que des traductions défaillantes, parfois incompréhensibles. Comme on doit les considérer comme un corps quasi judiciaire, il n’était pas indiqué qu’ils doivent, en même temps, se comporter comme procureur.

13.        Après avoir défini les critères objectifs sur base desquels les personnes détenues pouvaient être considérées comme des prisonniers politiques, les experts examinèrent, pour l’Azerbaïdjan, 23 cas pilotes, en les sélectionnant parmi la liste dite «Eldar Zeynalov» du nom du président du Centre des Droits de l’homme d’Azerbaïdjan, comportant plus de 700 noms au 1er janvier 2001. Ils estimèrent que, parmi les 23, 17 d’entre eux dont les trois noms cités dans l’Avis n°222 (2000) étaient bien des prisonniers politiques. Le rapport des experts2, remis à la mi-juillet, fut soumis aux autorités d’Azerbaïdjan qui envoyèrent des commentaires à la mi-août.

14.        Sans contester la validité des critères retenus, les autorités d’Azerbaïdjan estimèrent que les experts, par manque d’informations correctes et complètes sur les cas examinés s’étaient trompés dans leurs appréciations des faits et des lois. Elles ont donc continué à affirmer imperturbablement qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Azerbaïdjan, tous ceux qui sont en prison étant, à leurs yeux, des prisonniers de droit commun.

15.        Voulant donner aux autorités d’Azerbaïdjan la chance de tirer les conclusions du rapport des experts indépendants avant même qu’il soit publié, le Secrétaire général décida de surseoir à sa publication.

16.        Le Comité des Ministres, dans une communication du 21 septembre 2001, s’est réjoui d’apprendre que la grâce venait d’être accordée le 17 août à 89 prisonniers politiques dont 66 avaient été libérés et 23 avaient vu leur peine réduite. Mais il émit le vœu que les autorités d’Azerbaïdjan aillent plus loin encore et fassent un nouveau geste de réconciliation, à l’occasion du 10e anniversaire de l’indépendance de l’Azerbaïdjan, le 18 octobre 2001. Ce geste n’eut pas lieu!

17.        Finalement, le rapport des experts fut rendu public fin octobre 2001.

18.        Une dernière réunion entre les experts du Conseil de l’Europe et ceux de l’Etat d’Azerbaïdjan qui se tint à Strasbourg, début novembre, constata que les experts avaient agi en une qualité quasi judiciaire et que leur avis, d'ailleurs publié entre-temps, ne pouvait pas être renégocié.

19.        Désormais, le problème des prisonniers politiques présumés devait être examiné dans un contexte non strictement juridique mais davantage politique ou humanitaire, avec le souci d’obtenir des résultats concrets.

20.        Début novembre 2001, les rapporteurs de la Commission de suivi, MM. Gross et Martinez-Casan se sont rendus à Bakou pour remplir leur mission d’information sur l’accomplissement par l’Azerbaïdjan des engagements souscrits lors de l’adhésion.

21.        Evidemment, la question des prisonniers politiques a été soulevée. Ils ont proposé d’entamer une nouvelle phase dans l’examen de cette question, c’est-à-dire de l’examiner davantage sous un angle politique (ou humanitaire) mais de le faire conjointement avec le rapporteur de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme.

22.        D’ailleurs, sur insistance de notre Commission, le rapport sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan a été inscrit par le Bureau de l’Assemblée à l’ordre du jour de la première partie de session 2002, fin janvier.

23.        Toutefois, dans sa réunion du 10 décembre, le Bureau de l’Assemblée approuva la proposition de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de convoquer à Paris les 17 et 18 décembre une réunion entre, d’une part, les rapporteurs de l’Assemblée (de la Commission de suivi et de la Commission des Questions juridiques et des droits de l'homme) et, d’autre part, trois membres de la délégation parlementaire d’Azerbaïdjan, pour tenter une nouvelle approche de la question.

24.        Selon le Bureau, cette nouvelle approche politique devait tenir compte des points suivants: i. l’avis des experts indépendants, même s’il est contesté par les autorités d’Azerbaïdjan ne peut être renégocié. Pour le Conseil de l’Europe, les conclusions des experts quant à l’existence de prisonniers politiques constituent une donnée supplémentaire figurant au dossier. ii. la priorité devait être d’obtenir que les personnes considérées comme prisonniers politiques soient libérées ou rejugées.

25.        Les 17 et 18 décembre, à Paris, une réunion eut lieu entre MM. Seyidov et Ali Huseynov, ainsi que Mme Hadjiyeva, représentant la délégation parlementaire azerbaïdjanaise d’une part, et MM. Gross et Clerfayt, représentant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’autre part, pour mettre en œuvre cette nouvelle approche.

26.        En résumé, la délégation d’Azerbaïdjan a d’abord exprimé son accord sur l’idée de sortir enfin de l’approche juridique du problème, forcément complexe, pour entamer une discussion politique. Elle n’a pas caché son intérêt de voir repoussé le débat prévu à la partie de session de janvier pour disposer de plus de temps afin de pouvoir bien régler le problème.

27.        S’étant préoccupée de voir l’Azerbaïdjan mise sur la sellette à propos des présumés prisonniers politiques, la délégation d’Azerbaïdjan dut convenir qu’aucune preuve relative à l’existence de prisonniers politiques dans d’autres pays n’avait été rapportée, et que l’Azerbaïdjan n’était donc pas soumis à un traitement spécial par le Conseil de l’Europe.

28.        La délégation d’Azerbaïdjan remit aux rapporteurs au cours de la réunion une lettre du Ministre des affaires étrangères réaffirmant que l’Azerbaïdjan remplirait les engagements pris dans l’Avis n°222 (2000) et signalait d’ailleurs qu’une liste de 50 noms de prisonniers, suggérée, paraît-il, par le groupe Ago, était pour l’instant examinée par la Commission des grâces.

29.        Par ailleurs, la délégation d’Azerbaïdjan fit savoir qu’elle souhaitait connaître la portée exacte des engagements pris par l’Etat, compte tenu des démarches, parfois différentes, pour ne pas dire divergentes, entreprises par divers organes du Conseil de l’Europe. En d’autres mots, combien y a-t-il aux yeux de l’organisation de prisonniers à libérer ou à rejuger?

30.        L’opinion du rapporteur sur cette question de listes de présumés prisonniers politiques est détaillée au chapitre B, paragraphes 46 à 49.

31.        Enfin, la délégation d’Azerbaïdjan annonça comme imminente, la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme par le Parlement. Il s’agit d’un acte important dans la mesure où les prisonniers présumés politiques pourront bientôt réclamer le bénéfice de la protection apportée par la Convention, à moins que les négociations politiques en cours pour les libérer, réussissent. Je dois préciser à ce sujet que, si la CEDH est ratifiée et entre en vigueur, elle n’a pas d’effets rétroactifs pour les jugements du passé.

32.        En ce qui me concerne, je développai lors de cette réunion l’argumentation reprise au chapitre C ci-après, et in fine, je citai quelques nouveaux cas de prisonniers dont le sort me paraît nécessiter une attention particulière, et notamment deux anciens ministres également en prison, MM. Suret Huseynov et Imranov.

33.        M. Gross insista sur l’obligation souscrite par l’Azerbaïdjan en adhérant au Conseil de l’Europe de libérer ou rejuger les détenus que les organisations de protection des droits de l’homme considéraient comme des prisonniers politiques, et notamment les trois noms cités. Ensuite, il intervint longuement sur le travail historique et de mémoire nécessaire pour obtenir la réconciliation nationale. Il demanda que les autorités du pays comprennent que la démocratie trouvait son équilibre dans le combat politique, parlementaire et extra-parlementaire et que lorsqu’elle offre un espace où les opinions dissidentes peuvent librement s’exprimer, elle évite que des actes violents ne se produisent.

34.        La délégation d’Azerbaïdjan se montra vivement intéressée par nos points de vue mais ne put souscrire, du moins d’emblée, à tous nos propos.

35.        En conclusion, le groupe de travail tomba d’accord pour poursuivre ses travaux afin d’aider la délégation parlementaire dans sa délicate mission de réévaluation de ce problème et de recherche d’une solution.

36.        C’est pourquoi il fut décidé que je me rende avec M. Gross en Azerbaïdjan du 26 au 29 décembre 2001.

B. Etat de la question: les présumés prisonniers politiques

37.        Depuis le début de ma mission comme rapporteur pour l’adhésion de l’Azerbaïdjan au nom de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, il a été difficile de déterminer avec précision la liste des prisonniers politiques présumés.

38.        En premier lieu, les autorités d’Azerbaïdjan ont toujours affirmé qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques dans leur pays et que les noms cités par diverses organisations de protection des droits de l’homme étaient ceux de prisonniers à considérer comme des prisonniers de droit commun, condamnés pour divers crimes prévus au Code pénal. Dans ces conditions, on ne peut compter sur la coopération des autorités pour nous aider à établir une liste de «prisonniers politiques».

39.        D’autre part, les diverses ONG avec lesquelles nous avons été en contact ou qui nous ont, spontanément, envoyé des informations, n’ont jamais pu – c’est vrai – établir ensemble une liste commune.

40.        D’ailleurs, même les partis politiques d’opposition, représentés au Parlement, nous ont écrit une lettre ensemble, durant l’été 2001, disant que, pour eux, il n’y avait que 52 personnes, pouvant être considérées comme des prisonniers politiques. Malheureusement, je n’ai pas été mis en possession de cette liste. Je viens d’écrire «que 52» parce que c’est beaucoup moins que le chiffre avancé par diverses ONG mais il faut noter que c’est une confirmation par des parlementaires de l’existence de prisonniers politiques.

41.        Il faut noter encore que beaucoup de partis politiques d’opposition ne sont pas représentés au Parlement et n’ont pas participé à la rédaction de la lettre précitée. Pour eux, il y a encore d’autres prisonniers politiques.

42.        Le fait de ne pas disposer d’une seule liste claire et précise ne vient pas seulement de la difficulté pour les ONG et membres de l’opposition à avoir accès aux données et aux informations complètes mais aussi à la difficulté de mettre tous ces groupes d’accord entre eux, puisqu’ils représentent différentes tendances et qu’il n’y a pas, bien sûr, une seule opposition comme c’est d’ailleurs le cas dans tous les Etats...

43.        A défaut d’avoir une liste officielle faisant le consensus, on peut avoir un document de travail qui se complète au fur et à mesure que des informations sur de nouveaux cas de prisonniers politiques présumés sont fournies.

44.        C’est pourquoi j’ai toujours considéré qu’il valait mieux prendre comme base de départ la liste la plus extensive c'est-à-dire celle établie par le «Centre des Droits de l’Homme d’Azerbaïdjan» (animé par M. Eldar Zeynalov), qui a comporté, dans le courant de l’année 2000, plus de 800 noms. Bien sûr, de cette liste, il faut biffer ceux qui ont été libérés, depuis son établissement, par expiration du temps de leur peine, ceux qui sont morts en prison, à l’insu de l'auteur de la liste, ceux qui ont été libérés, par décision de pardon, ceux qui sont cités deux fois par confusion dans les prénoms, ceux qui s’y trouvent effectivement par erreur, parce que leur crime serait sans conteste uniquement de droit commun (à vérifier), etc... Sans la collaboration des autorités, ce n’est pas possible de nettoyer correctement cette liste.

45.        En tout cas, c’est sur base de cette liste qu’au départ, les experts indépendants nommés par le Secrétaire général du Conseil de l’Europe ont travaillé pour choisir 23 cas pilotes en disant qu’il fallait appliquer, «mutatis mutandis» leurs conclusions aux autres cas jugés dans les mêmes procès collectifs.

46.        On ne peut ignorer que, dans les dernières années, le Président Aliyev et la Commission des Grâces ont pardonné et relâché un très grand nombre de prisonniers, parmi lesquels beaucoup de ceux qui étaient supposés être des prisonniers politiques mais d’autres qui, incontestablement, étaient des prisonniers de droit commun. Il faut ajouter que, par ces décisions, un certain nombre de prisonniers politiques présumés ont bénéficié aussi de remises partielles de peine...

47.        Mais sur ce plan également, il est quasi impossible de disposer de chiffres exacts. En effet, dans divers courriers reçus successivement soit du bureau de la Présidence, soit de la délégation parlementaire (et sans même parler des courriers d’ONG qui contestent les chiffres officiels), j’ai reçu à ce sujet divers chiffres qui ne sont pas semblables. A titre d’exemple, si je compare les chiffres qui sont cités dans une lettre reçue du Bureau de la Présidence le 8 septembre 2001 avec ceux qui figurent dans une lettre toute récente du même Bureau datée du 28 décembre, je trouve encore une fois des chiffres qui ne sont pas semblables!

48.        Parfois, on parle de la liste Jurgens (qui est celle de Zeynalov); parfois, on parle de la mienne (mais moi, je n’ai jamais établi de liste exhaustive… je n’ai jamais fait que transmettre, au fil du temps certains noms dont j’avais eu connaissance et qui me paraissaient être des cas dignes d'intérêt); parfois, on parle de la liste Ago dont finalement, je peux dire que son existence n’a pas pu m’être confirmée par le Secrétariat du Comité des Ministres! Parfois on parle de la liste des experts désignés par le Secrétaire général etc... Chaque fois, ce sont des listes différentes par rapport auxquelles, on nous informe que X ou Y noms sur ces listes sont ceux de prisonniers qui ont été libérés. Bref, dans ces statistiques, il y a, hélas, un grand désordre comme dans les bases de référence…!

49.        Ce qui est certain, c’est que quatre grands trains de libération, contenant des noms de personnes considérées comme prisonniers politiques par les ONG ont eu lieu, d’abord début juin 2000 (87 libérés); ensuite le 5 octobre 2000 (41 libérés); ensuite le 28 décembre 2000 (30 libérés) et encore, le 17 août 2001 (26 libérés). Je rappelle que mon rapport de juin 2000 faisait déjà état de quelques cas antérieurs de libération. J’ajoute que deux des cinq noms figurant dans mon rapport à titre d’exemple, avaient été libérés avant le débat d’adhésion de fin juin et que trois journalistes viennent d’être libérés en novembre 2001.

50.        Dès lors, je tiens pour probable et crédible l’affirmation que le chiffre exact des prisonniers présumés politiques libérés depuis fin 1999 doit dépasser les 190. De plus, un certain nombre de prisonniers politiques présumés ont vu leur peine réduite, souvent de moitié.

51.        Il faut noter par exemple, que dans le dernier train du mois d’août 2001, se trouvaient six des 17 cas reconnus par les experts indépendants comme prisonniers politiques et qu’un 7ème a vu sa peine réduite de moitié.

52.        Tout cela n’est pas négligeable et doit être apprécié. Il est évident que les autorités d’Azerbaïdjan ont fait un effort pour satisfaire aux demandes du Conseil de l’Europe. Cependant, il doit rester en prison (fin décembre 2001) probablement 500 cas au minimum de prisonniers politiques présumés, en tout cas, des prisonniers dont la nature, l’origine et les circonstances de leur emprisonnement, bref, dont le sort probablement injuste, préoccupe le Conseil de l’Europe. Il faudra que ces cas soient réexaminés tôt ou tard.

53.        Comme l’a déclaré justement le Secrétaire général du Conseil de l’Europe M. Schwimmer, " un prisonnier politique c’est un prisonnier de trop".

54.        Or, les trois prisonniers cités dans l’Avis n°222 (2000) qui sont devenus des cas emblématiques sont toujours en prison, au moment où j’écris. Toutefois, aux dernières nouvelles, les autorités auraient pris la décision de rejuger M. Iskander Hamidov.

55.        Depuis juin 2000, en toutes circonstances, chaque fois qu’il a été question du cas des présumés prisonniers politiques, les autorités d’Azerbaïdjan ont affirmé qu’elles respecteraient tous leurs engagements. Il serait heureux, dans l’intérêt même de l’Azerbaïdjan, que, pour ce qui concerne cette question, cela se produise le plus rapidement possible.

56.        Il ne s’agit pas seulement d’un problème juridique mais aussi politique. Mon principe de base est qu’il ne peut y avoir dans un pays membre du Conseil de l’Europe un seul prisonnier considéré, par l’Assemblée, comme injustement ou indûment maintenu en prison, alors que, éthiquement et au regard de tous nos critères européens, cela ne se justifie pas.

57.        Mon but n’est pas de proclamer à tout prix qu’il y a, en Azerbaïdjan, des prisonniers politiques afin de pouvoir me scandaliser de ce fait et le dénoncer... Tant mieux, s’il n’y a pas (ou plus) de prisonniers politiques en Azerbaïdjan!

58.        Je ne veux pas mener un débat dogmatique et juridique sur la question de savoir ce qu’est un prisonnier politique et si, parmi les prisonniers en Azerbaïdjan, il y en a qui rentrent dans la définition. Ce problème-là est plutôt académique. Ce serait stérile de vouloir en débattre indéfiniment. D’ailleurs, pour moi, l’avis des experts indépendants, leurs critères et leurs conclusions quant aux personnes considérées comme prisonniers politiques ne peuvent être discutés.

59.        Mon but est d’obtenir la libération (ou un nouveau procès) de ceux qui, à mes yeux, sont maintenus injustement en prison, compte tenu de notre conception d’un Etat démocratique qui respecte le droit, tel qu’élaboré par le Conseil de l’Europe depuis cinquante ans, ainsi que par la Cour européenne de Droits de l’Homme à Strasbourg.

60.        Ce que je veux, ce sont des résultats concrets. Je veux que toute une série de prisonniers actuels – peu importe l’étiquette qu’on leur donne – soient rendus à la liberté. Pourquoi? Je justifie cette conception dans les paragraphes qui suivent.

61.        Un Etat démocratique, c’est un Etat où la conquête du pouvoir se fait sans violence, par le libre choix des électeurs, bénéficiant d’un débat libre dans une presse libre, grâce à la libre expression des opinions, et grâce à des élections libres, sans exclusion arbitraire de partis et candidats et sans fraude ou falsifications.

62.        Un Etat démocratique, c’est aussi un Etat où règne la suprématie du droit et où existe vraiment l’indépendance des juges. Cela implique que les accusés soient supposés innocents, que l’instruction soit faite à charge et à décharge, qu’aucun accusé ne soit soumis à la torture, que tout accusé puisse bénéficier d’une défense libre, avec un avocat ayant libre accès au dossier et plaidant librement dans l’intérêt de son client, que les condamnations soient correctement motivées et basées sur des preuves indiscutables, que les peines soient proportionnées à la nature des délits, que les juges puissent juger en âme et en conscience sans recevoir d’ordres – ce n’est pas le cas s’ils sont militaires – et sans crainte de représailles du pouvoir.

63.        Au moment des faits et des arrestations, dans les années allant de 1990 à 1996 et au moment des procès et des jugements, qui, ultérieurement, ont maintenu en prison bien des prisonniers dont le sort nous préoccupe, l’Azerbaïdjan traversait une époque post-communiste, était donc en période de transition, en marche vers un Etat démocratique. Mais l’Azerbaïdjan n’était pas encore un Etat démocratique conforme aux standards du Conseil de l’Europe.

64.        Ce qui s’est produit à l’époque – tant dans les faits de la vie politique que la procédure judiciaire – était hors norme.

65.        Nul ne peut affirmer que ce qui s’est passé était à l’abri de tout arbitraire, conforme au droit et aux principes démocratiques européens et donc exempts de toute critique objective. Cela vaut pour les comportements des acteurs politiques comme pour les procès.

66.        Dans son «Guide pour l’observateur international», manuel rédigé par l’OSCE/ODIHR à l’occasion des élections parlementaires de novembre 2000, on trouve aux pages 13 à 20, un excellent exposé sommaire de l’histoire d’Azerbaïdjan. Plus précisément, aux pages 17 à 19, l’histoire contemporaine de la République d’Azerbaïdjan (1991-2000) est esquissée. Pour l’essentiel, je m’en inspire en complétant avec d’autres sources.

67.        Après le 19 janvier 1990 où l’Armée rouge envahit Bakou avec ses tanks, laissant 131 morts et 700 blessés, pour la plupart membres du Parti du Front populaire, Ayaz Mutalibov devint premier secrétaire du Parti Communiste et restaura l’ordre en arrêtant plusieurs dirigeants du Parti du Front populaire. Les élections de septembre-octobre 1990 donnèrent une victoire confortable au Parti communiste, mais très contestée par les partis d’opposition.

68.        L’actuel Président Heydar Aliyev, qui avait été le haut dirigeant de l’Azerbaïdjan pendant de nombreuses années sous le régime communiste et qui après quelques années de disgrâce et de retraite à la fin des années 1980, était devenu entre-temps Président du parlement du Nakhitchevan en 1990, se mit à critiquer Mutalibov de plus en plus. Toutefois, Mutalibov gagna les élections présidentielles à l’automne de 1991, tandis que le parti communiste fut mis en dissolution.

69.        L’indépendance de l’Azerbaïdjan fut proclamée le 18 octobre 1991.

70.        Au début de 1992, le pays connut une période de troubles politiques graves et le Président Mutalibov s’enfuit en Russie. Aux élections présidentielles du 7 juin 1992, le leader du parti du Front populaire, principal parti d’opposition, Abufaz Elchibey fut élu de justesse. Il faut noter qu’un bout de loi voté à la dernière minute, avait empêché Heydar Aliyev de se présenter sous prétexte qu’il avait dépassé l’âge de 65 ans!

71.        A partir de là, une lutte pour le pouvoir se développa entre les pro-Mutalibov, les pro-Elchibey et les pro-Aliyev, tandis que la guerre au Karabakh faisait rage... C’est à la suite de défaites militaires que Raqim Gaziyev, Ministre de la Défense, et ancien dirigeant du Parti du Front populaire fut arrêté!

72.        En juin 1993, le colonel Surat Husseynov fit une rébellion à Ganja et marcha sur Bakou. Pour consolider son pouvoir, il invita à Bakou Heydar Aliyev resté jusque là au Nakhitchevan et à la mi-juin, celui-ci fut élu président du Parlement (Milli Meclis). Le Président Elchibey s’enfuit au Nakhitchevan (d’ où venait Heydar Aliyev) et Aliyev se saisit des pouvoirs abandonnés par le Président en fuite; ce transfert fut ratifié par le Parlement un mois plus tard.

73.        Le colonel Husseynov qui avait conquis militairement Bakou fut nommé premier ministre.

74.        En octobre 1993 eurent lieu de nouvelles élections présidentielles gagnées largement par le Président Aliyev.

75.        Entre-temps, durant l’été 1993, s’était produite la tentative d’Alikram Gumbatov, dirigeant du Parti du Front populaire, de proclamer l’indépendance de la République Talish Mugan (appelée «Lenkoran Case») aux frontières avec l’Iran, mais elle échoua, et M. Gumbatov fut arrêté.

76.        A cette époque, avant et après l’élection de Heydar Aliyev, comme Président, eurent lieu plusieurs tentatives d’assassinats dirigées contre lui, ou des tentatives de coups d’état, notamment par les partisans du Front populaire. Cela donna lieu à beaucoup d’arrestations (plus de 100).

77.        En septembre 1994, deux prisonniers importants, Gaziyev et Gumbatov, s’évadèrent de la prison du Ministère de la Sécurité («coup of generals») et plus de 20 personnes furent arrêtées.

78.        En octobre 1994, les partisans du colonel Husseynov tentèrent un coup d’état à Ganja et Mingechevir («October case»). Plus de 200 personnes furent arrêtées. Huseynov s’enfuit en Russie. Il y eut aussi des troubles à Sharur («Sharur Case»); 26 personnes au moins furent arrêtées.

79.        En mars 1995, les unités spéciales de la police (OPON) organisèrent une émeute pour demander des changements politiques («March case»). L’armée réprima cette tentative de coup d’Etat. Plus de 600 personnes furent arrêtées.

80.        Pendant l’année 1995, il y eut aussi d’autres tentatives contre la vie du Président Aliyev . Une bombe fut découverte sous un pont à Bakou. Des militaires soupçonnés d’avoir voulu abattre l’avion du Président furent arrêtés.

81.        Le 12 novembre 1995 eurent lieu les premières élections parlementaires qui donnèrent une large victoire au parti du Président. Toutefois, l’opposition et les observateurs internationaux émirent de sérieuses critiques quant à leur caractère démocratique et régulier!

82.        Les élections présidentielles du 11 octobre 1998, gagnées largement par le Président Aliyev, furent également contestées. Il en fut de même pour les premières élections municipales du 12 décembre 1999 et aussi, mais dans un degré moindre, pour les élections parlementaires de novembre 2000, complétées heureusement par un second tour, après annulation du premier tour, pour une douzaine de circonscriptions en janvier 2001.

83.        A noter encore qu’un ancien président du Parlement qui s’est enfui aux Etats-Unis en 1997, M. Rasul Guliyev, fut accusé de détournement de fonds, jugé par contumace, condamné ainsi que divers complices qui, eux, sont aujourd’hui en prison, et ce en mars 2000.

84.        A noter aussi que les anciens évadés célèbres Gumbatov, Gaziyev et Husseynov (ancien premier ministre) furent tous extradés de Russie, sans respect des règles internationales en matière d’extradition et sont aujourd’hui en prison.

85.        Le résumé d’histoire contemporaine qui précède montre clairement que, depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan, la lutte pour le pouvoir s’est faite avec usage de la violence (coup d’Etats, tentatives d’assassinats, etc.) et falsifications électorales. Les années 1992-1995 furent cruciales. Il s’agissait d’une guerre civile.

86.        Une autre manière de résumer les événements est la suivante: le régime actuel résulte d’un coup d’état de juin 1993 qui a renversé le gouvernement du Front populaire qui, à son tour, était venu au pouvoir à la suite du coup d’Etat antérieur de mai 1992.

87.        La tentative de coup d’Etat d’octobre 1994 fut le résultat d’une scission entre les participants à la coalition rebelle de juin 1993.

88.        La tentative du coup d’Etat de mai 1995, qui a échoué, fut le résultat d’un conflit entre le Président et les forces qui l’ont aidé à réprimer le coup d’Etat de 1994. Les activistes du Front populaire qui ont été éliminés au Nakhitchevan en 1993-1995 sont ceux qui avaient aidé Heydar Aliyev en 1990 à prendre une position de leader au Nakhitchevan.

89.        Bref, la violence a généré toujours plus de violence comme c’est le cas dans une guerre civile.

90.        Qu’il s’agisse des vainqueurs ou des perdants, ils ont tous, dans cette période de transition vers la démocratie, utilisé des moyens, souvent violents, en tout cas non conformes aux règles démocratiques.

91.        Le fait est que des ministres clés des gouvernements antérieurs, au moins dix d’entre eux, ont été emprisonnés et que quatre le sont encore (Gaziyev, Gamidov, Imranov, et Suret Husseynov) avec des parents de nombreux supporters ou des forces de police ou des militaires qui sont supposés les avoir aidés.

92.        Certes, le président Aliyev a dû faire face à de nombreuses tentatives violentes de déstabilisation. Ses adversaires n’étaient pas des enfants de choeur et ont commis des actes inadmissibles, mais c’était avec objectif politique!

93.        Ils ne savaient pas – personne ne savait – quelles sont les règles normales du jeu en démocratie, ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire pour conquérir le pouvoir. Ils étaient les héritiers du régime antérieur où ils avaient pris de mauvaises leçons. A cette époque (1990-1996) s’est développé, dans la lutte pour le pouvoir, un engrenage infernal loin des chemins de la démocratie.

94.        Maintenant que l’Azerbaïdjan depuis deux ans environ, s’est engagé résolument, avec de grands efforts, sur le chemin de la vraie démocratie, faut-il que les vaincus des luttes du pouvoir antérieur continuent à payer indéfiniment leurs échecs et leurs fautes?

95.        Evidemment, pour répondre non, il faut être sûr qu’eux aussi, renoncent désormais à la violence et aux transgressions des règles démocratiques.

96.        Mais s’ils sont encore en prison aujourd’hui, cinq à sept ans après les faits, parfois plus, n’ont-ils pas payé suffisamment? D’autant plus, qu’en grande partie, les procédures judiciaires appliquées n’étaient pas non plus très conformes au modèle du Conseil de l’Europe.

97.        Au sujet des présumés prisonniers politiques, les autorités d’Azerbaïdjan disent qu’ils ont commis des actes de violences et des crimes, y compris des actes de terrorisme, des assassinats, des kidnappings, des privations illégales de liberté, des tentatives de sécession, des détentions d’armes, etc... et que c’est normal qu’ils aient été condamnés, qu’ils soient et restent en prison.

98.        Elles osent même invoquer depuis le 11 septembre 2001, la Convention européenne sur la répression du terrorisme pour estimer que pour ce genre de crimes, on ne peut permettre une inspiration du type “motifs politiques”.

99.        Pourtant, même si beaucoup de prisonniers actuels dont le sort préoccupe l’Assemblée ont commis des faits graves – pas tous, certains sont en prison parce qu’ils sont des parents et des amis des condamnés! – il n’empêche que pour les apprécier, il faut tenir compte du contexte historico-politique dans lequel tout cela s’est passé... et pour apprécier la pertinence de leur condamnation parfois à mort – heureusement, toutes ces peines ont été commuées en prison à vie, par l’abolition de la peine de mort – et en tout cas, de leur condamnation à 10-12-15 ans de prison et plus, il faut s’interroger sur la qualité des procédures judiciaires suivies.

100. Qui oserait prétendre que tous ces accusés ont bénéficié d’un procès équitable selon les normes du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des Droits de l’Homme? Evidemment, à l’époque et jusqu'en l’an 2000 au moins, ce n’était pas le cas!

101. Les condamnations ont été prononcées sur base du Code pénal soviétique en vigueur jusqu’il y a peu et les procès ont eu lieu sur base du Code de procédure pénal soviétique resté en vigueur jusqu’il y a peu. Les policiers, les enquêteurs, les procureurs, les juges n’avaient pour la plupart pas encore modifié leurs mentalités, leurs méthodes et leurs habitudes.

102. Beaucoup de ces prisonniers qui nous intéressent prétendent avoir été torturés – ce qui est inadmissible – et n’avoir pas été bien défendus par des avocats libres , ayant pu bien étudier leurs dossiers et prendre connaissance à temps des charges pesant sur leur client. Certains ont été jugés sans avocat.

103. En général, les accusés n’ont pas bénéficié de la présomption d’innocence. Certains ont été extradés d’une manière illégale, non conforme aux règles internationales d’extradition. Gaziyev a été jugé «in absentia» (par contumace) et quand il a été livré par la Russie, d’une façon critiquable, au regard des règles d’extradition, son procès n’a pas été recommencé et il a été mis en prison.

104. Qui peut certifier que les juges étaient indépendants, et n’obéissaient pas aux ordres du pouvoir, alors que les efforts d’aujourd’hui pour une justice vraiment indépendante, ne sont pas encore complètement couronnés de succès! D’ailleurs, dans certains cas, il s’agissait de juges militaires!

105. Bref l’Azerbaïdjan vient d’accomplir sa réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale. Il vient d’organiser la réforme du système judiciaire et un nouveau processus de sélection et nomination des juges. Il vient de donner de fermes instructions basées sur les nouveaux codes, pour interdire la torture! Si tout cela a été fait, c’est que c’était nécessaire!

106. C’est donc qu’auparavant, à l’époque du procès de la plupart de ceux qui sont supposés être des prisonniers politiques, les procédures et la façon de faire étaient telles qu’on a le droit de mettre en doute leur caractère équitable et le bien fondé des condamnations.

107. A l’égard de tous ces prisonniers, il y a donc un problème politique qui tient au fait que le pays était en transition... mais pas encore démocratique, comme il le devient tous les jours un peu plus aujourd’hui. Et d’ailleurs, les motivations des acteurs politiques aujourd’hui en prison étaient des motivations de type politique, s’inscrivant dans le cadre de la lutte pour le pouvoir.

108. Voilà pourquoi l’Assemblée estime qu’il faut les libérer car, après plusieurs années de prison dans de dures conditions – l’amélioration du régime pénitentiaire est récente elle aussi! – ils ont suffisamment payé leurs fautes .... dont la gravité doit être atténuée par la circonstance qu’ils méconnaissaient les règles démocratiques et que d’ailleurs, les gouvernements ne suivaient pas non plus celles-ci complètement.

109. Les libérer ou les rejuger? Certes, l’Avis n°222 (2000) prévoit cette seconde possibilité.

110. Mais il va de soi que si on recommence leurs procès, ce doit être en appliquant les nouvelles législations introduites récemment qui font une meilleure place aux droits de la défense et respectent la présomption d’innocence. Et ces nouveaux procès devront pouvoir être suivis par des observateurs du Conseil de l’Europe.

111. Mais si on les rejuge, il faudrait d’abord recommencer les instructions pour que le dossier soit correctement établi et ce, sans tortures et en jetant au panier les aveux antérieurs arrachés par la torture!

112. Est-ce que tout cela est techniquement possible? Est-ce que tout cela n’est pas inutilement coûteux en temps et en argent?

113. En outre, est-ce politiquement opportun et habile de recommencer à remuer le passé, à rappeler des faits qui ne sont pas exemplaires, à raviver les oppositions?

114. Ne vaut-il pas mieux, dans un souci de réconciliation nationale, passer l’éponge, faire table rase, repartir à zéro et d’un bon pied dans le jeu démocratique normal, en enterrant la hache de guerre, car il ne peut plus être question de violences, d’aucune manière.

115. La démocratie a besoin de débats contradictoires pour faire évoluer et améliorer les idées dominantes. Les gouvernements ont besoin d’une opposition constructive mais critique. Les opposants, s’ils jouent eux aussi le jeu démocratique, s’ils renoncent à la violence, ne sont pas des ennemis, mais des partenaires dans la recherche des meilleures solutions pour le pays. C’est le peuple souverain et bien informé qui décide librement et attribue le pouvoir à travers des élections libres.

116. A titre personnel – mais je crois que bien des parlementaires pensent comme moi – il serait préférable de ne pas entamer de nouveaux procès.

117. Libérer les prisonniers considérés comme politiques, là est la solution de sagesse, tournée vers l’avenir, car elle scelle l’émergence d’un nouveau régime politique, vraiment démocratique.

118. Les dirigeants d’aujourd’hui craignent l’instabilité politique, une nouvelle agitation? Au contraire, cette amnistie générale affaiblira les tensions existantes et renforcera la démocratie naissante.

119. Qui, mieux que l’équipe au pouvoir peut arrêter l’engrenage infernal de la violence et signaler, par un geste spectaculaire que le pays est définitivement entré dans l’ère démocratique?

120. Après toutes les batailles de l’histoire, les vainqueurs ont été grands, ont consolidé leur prestige et leur pouvoir et ont accru leur légitimité, lorsqu’ils se sont montrés magnanimes envers les vaincus.

      Bakou, 26-29 décembre 2001: progrès réalisés?

121. Accompagné de mon collègue suisse Andreas Gross, rapporteur de la Commission de suivi, de Egbert Ausems, Chef du secrétariat de la Commission de suivi, et de David Ćupina, Secrétaire adjoint de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, je suis allé à Bakou du 26 au 29 décembre 2001.

122. Ensemble, nous avons formé une excellente équipe très soudée et je les remercie sincèrement de leur collaboration.

123. Je tiens à souligner la pertinence et l’efficacité des propos développés par Andreas Gross sur le thème de ce qui est nécessaire pour que les autorités assurent leur légitimité en vue de la stabilité politique, basée sur la réconciliation nationale.

124. Au cours de cette mission, nous avons d’abord rencontré diverses O.N.G. actives dans le domaine des droits de l’homme et de la défense des prisonniers politiques, soit celles avec lesquelles nous sommes en contact depuis longtemps, soit d’autres que nous ne connaissions que de nom. Celles-ci nous ont remis une nouvelle liste de prisonniers politiques. Les unes et les autres nous ont fourni des informations complémentaires utiles. Nous avons également pu visiter la prison des femmes, grâce à l’obligeance du Général Gazimov, Vice-Ministre de la justice, responsable des prisons, et y avons rencontré deux femmes, Mme Galina Lebedeva et Mme Sönmez Sikhmaz, dont nous avions appris récemment l’existence en prison, considérées par plusieurs O.N.G. comme des prisonnières politiques. Evidemment, nous avons soulevé leur cas devant nos interlocuteurs.

125. Nous avons surtout eu plusieurs réunions, soit avec le Président du Parlement M. Aleskerov, que nous remercions de son accueil, soit avec la délégation parlementaire azerbaïdjanaise à l’Assemblée parlementaire, conduite par M. Ilham Aliyev.

126. Ensuite, nous avons rencontré M. Ramiz Mehdiyev, Chef du Bureau de la Présidence, ainsi que ses bras droits, M. Fuad Aleskerov et M. Shahin Aliyev avec qui, depuis longtemps, nous entretenons les meilleurs rapports de collaboration.

127. Avec les uns et les autres, les discussions furent vives et tendues. Nous nous sommes exprimés franchement. Bien entendu, nos interlocuteurs connaissaient et appréciaient notre souci d’aider l’Azerbaïdjan à progresser sur le chemin de la démocratie.

128. Grâce à cela, nos contacts se sont terminés dans l’entente et l’amitié. Je dois cependant déplorer que la délégation parlementaire n’ait pas suffisamment soutenu, avec nous, le point de vue de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, face aux autorités du pays.

129. Enfin, le Président Aliyev nous a reçus longuement et nous a confirmé sa volonté que l’Azerbaïdjan remplisse tous les engagements pris vis-à-vis du Conseil de l’Europe. A titre d’exemple, il s’est félicité de ce que le Parlement venait d’autoriser le gouvernement à ratifier la Convention européenne des droits de l’homme et plusieurs protocoles additionnels.

130. En particulier, il a confirmé qu’il signerait dans les prochaines heures un nouveau train de grâces, y compris de nombreuses libérations, et il a promis d’examiner favorablement le «petit supplément» (voir paragraphe 149) que nous lui avons demandé. Nous expliciterons ci-après en détail quels sont les acquis de notre visite.

131. Toutes les autorités azerbaïdjanaises rencontrées ont tenu à faire remarquer que la situation est difficile pour l’Azerbaïdjan dans la mesure où le problème du Haut-Karabakh n’est toujours pas résolu et où par conséquent, 20% du territoire de l’Azerbaïdjan sont toujours occupés par des troupes arméniennes, tandis que le pays doit entretenir des centaines de milliers de réfugiés d’Arménie ou de personnes déplacées des territoires occupés. Certains n’hésitent pas à citer le chiffre d’un million. Il s’agit d’un lourd fardeau et d’un chancre politique qui ne favorise pas la prise de décisions courageuses et apaisantes.

132. De plus, toutes les autorités rencontrées ont exprimé leur souci d’un traitement équitable par le Conseil de l’Europe, c’est-à-dire leur incompréhension de ce qui pourrait apparaître comme un acharnement à propos des prisonniers politiques, alors que, selon eux, des cas semblables doivent exister dans plusieurs Etats membres, notamment certains de leurs voisins ou d’autres anciens membres de l’U.R.S.S., aujourd’hui indépendants et qu’ils ne voient pas le Conseil de l’Europe s’occuper de ces cas-là!

133. Il va de soi qu’il n’y a aucun acharnement particulier et que le Conseil de l’Europe traite de la même manière toutes les informations reçues concernant les Etats membres.

134. Progrès réalisés?

135. Pour ce qui concerne les trois noms devenus symboliques mentionnés dans l’Avis n°222 (2000), à savoir Iskander Gamidov, Alikram Gumbatov et Raqim Gaziyev, nous avons été informés oralement de la décision prise tout récemment d’ouvrir pour chacun d’eux un nouveau procès. Début janvier 2002, j’ai reçu le texte de l’appel signé par le Procureur général, le 26 décembre 2001, en vue d’organiser un nouveau procès. Incontestablement, il s’agit d’un mouvement, et d’une décision conforme à l’engagement pris par l’Azerbaïdjan envers le Conseil de l’Europe.

136. Cela constaté, je maintiens, vis-à-vis d’éventuels nouveaux procès, l’opinion que j’ai exprimée ci-avant aux paragraphes 109 à 120: ce n’est pas la meilleure décision possible dans l’intérêt du pays. Au contraire…

137. De plus, interrogé par le sénateur français M. Goulet, lors du débat d’adhésion à l’Assemblée en juin 2000 sur la signification de la phrase: «libérer ou rejuger», j’ai expliqué à ce moment que «rejuger» visait essentiellement le cas de Raqim Gaziyev qui avait été condamné par contumace (in absentia) et puis, mis en prison après son extradition de l’URSS.!

138. Il est donc permis d’affirmer que la volonté de votre rapporteur était d’obtenir la libération des deux prisonniers cités et de ne faire ouvrir un nouveau procès que pour le troisième!

139. De plus, l’on sait que, parmi les motifs de libération d’un prisonnier, on peut ranger aussi des motifs humanitaires concernant leur santé ou la situation de leur famille. Or il est incontestable que l’état de santé de ces prisonniers est très mauvais, surtout pour ce qui concerne les deux premiers.

140. Evidemment, rien n’empêche les autorités d’Azerbaïdjan de réexaminer leur décision, si c’est dans un sens favorable pour les prisonniers.

141. Un nouveau train d’amnistie ou pardon vient d’être signé, le 29 décembre 2001, par le Président. En voici la teneur: 57 prisonniers ont été libérés, dont 29 prisonniers considérés comme politiques par les O.N.G., 8 prisonniers inconnus de ces O.N.G. (peut-être des prisonniers de droit commun?) et 20 déserteurs. Aucun prisonnier de la liste des experts n’a été libéré. D’autre part, 29 prisonniers ont vu leur peine réduite (de moitié sans doute) dont 23 prisonniers considérés comme politiques par les O.N.G., 4 inconnus de ces mêmes O.N.G. (peut-être des prisonniers de droit commun), aucun déserteur et deux prisonniers figurant sur la liste des experts (les cas 16, Abdullayev et 21, Samedov).

142. Je dois dire que c’est décevant et inférieur à nos attentes.

143. Après cela, le total des présumés prisonniers politiques graciés et libérés depuis fin 1999, c’est-à-dire depuis que le Conseil de l’Europe a insisté en ce sens, doit se situer aux environs de 220.

144. Pour apprécier le problème faisant l’objet de ce rapport, il faut, certes, en tenir compte mais le dernier train de décembre 2001 est loin d’être impressionnant… et encore moins décisif: il doit rester quelque chose comme 500 cas à examiner et donc, sans doute, à faire libérer!

145. Sans connaître le détail des noms du dernier train de libérations que l’on nous annonçait, nous avons fait savoir clairement aux autorités qu’un sérieux problème immédiat continuerait à se poser vis-à-vis du Conseil de l’Europe, si parmi les noms de ce train, on ne trouvait pas ceux que les experts indépendants avaient considérés comme prisonniers politiques. Même si les autorités réfutent l’emploi de ce termes, elles ne peuvent ignorer qu’ayant lu les conclusions des experts, les membres de l’Assemblée parlementaire et probablement aussi du Comité des Ministres considéreront ces noms comme des cas supplémentaires dignes d’intérêt et méritant une décision de libération sans délai, faute de quoi ils deviendront aussi symboliques et majeurs que les trois noms cités dans l’avis n° 222 (2000).

146. Certes, dans le train de libérations du mois d’août, on trouvait déjà 6 des 17 noms de prisonniers considérés comme politiques par les experts. Il en restait donc 11 dont les trois noms cités dans l’Avis n° 222 (2000). Nous avons demandé qu’on les libère, à tout le moins six d’entre eux que nous avons sélectionnés comme étant ceux qui, à nos yeux, ne devaient pas poser de problèmes insurmontables pour diverses raisons qu’il serait trop long de détailler ici.

147. Il s’agit, par rapport à la liste des experts indépendants, des cas 12 (Ramazanov), 14 (Imranov), 16 (Abdullayev), 17 (Guseynov Suret), 18 (Safikhanov) et 25 (Guseynov Guseynbala), dont parmi eux, M. Suret Husseynov, ancien Premier ministre et M. Nariman Imranov, ancien ministre de la sécurité d’Etat, ainsi que M. Ilgar Safikhanov, ancien chef du bureau Interpol.

148. Bref, quand, devant le Président, le remerciant des décisions prises, nous avons demandé un «petit supplément» et quand il a promis d’examiner favorablement cette demande, c’est bien de ceux-là qu’il s’agissait.

149. Mais il s’agissait aussi de divers cas non mentionnés par les experts indépendants mais que nous avons soulevés, notamment: celui de Mme Galina Lebedeva, condamnée en 2000 comme complice des prétendues escroqueries de M. Rasul Guliyev, celui de M. Janmirza Mirzoyev, condamné récemment pour un prétendu assassinat en 1993, alors que son véritable «crime» est sans doute d’avoir en tant qu’officier dénoncé diverses corruptions au sein du ministère de la Défense, celui de M. Muzakir Abdullayev, frère d’un ancien ministre, libéré depuis 1999 pour raisons humanitaires alors que lui, directeur de société, condamné à 10 ans de prison, est toujours en captivité. Nous avons évoqué aussi le cas des condamnés, en 2001, du «Sheki case» qui auraient été torturés et auraient reçu une condamnation (6-8 ans) manifestement disproportionnée par rapport aux faits reprochés (une manifestation tournant à l’émeute avec des dégâts matériels).

150. Nous n’avons pas caché dans une discussion plus détaillée avec M. Mehdiyev, Chef du Bureau de la Présidence que, sans décision favorable, donc de libération, pour ces divers cas-là, ou pour au moins un certain nombre d’entre eux, il nous serait difficile de présenter les progrès accomplis dans le dossier des présumés prisonniers politiques comme vraiment suffisants.

151. J’attendais des nouvelles à ce sujet et j’espérais les obtenir avant la réunion de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme le 7 janvier 2002 à Paris. Hélas, à cette date, je n’avais reçu aucune information à ce sujet.

152. Enfin, compte tenu du fait que l’Avis n°222 (2000) ne citait trois noms qu’à titre d’exemple (en mentionnant ainsi des cas importants), mais demandait en fait, la libération de tous les détenus que des organisations de protection des droits de l’homme considéraient comme des prisonniers politiques, il va de soi que la décision de libération prise au sujet des 29 prisonniers cités ne peut suffire.

153. Certes, les différents trains de grâces et de libérations qui ont eu lieu depuis deux ans nous ont permis de constater qu’environ 220 prisonniers de ce type ont été libérés.

154. Néanmoins, nous pensons qu’il en reste encore d’autres, beaucoup d’autres dont le cas doit être examiné. Or, nous avons constaté aux paragraphes 46 à 49 de ce rapport (chapitre B) qu’une grande difficulté de voir clair existe dans ce problème des listes de présumés prisonniers politiques et que sans la coopération des autorités, on n’y arriverait pas.

155. A Bakou, nous avons donc demandé la constitution d’un groupe de travail mixte constitué par des représentants de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (par exemple les rapporteurs qui ont entamé le travail), de représentants du Parlement d’Azerbaïdjan et de représentants du Bureau de la Présidence, dont son chef, M. Ramiz Mehdiyev est le Président de la Commission des grâces, afin de clarifier et nettoyer les diverses listes et d’établir, de manière contradictoire, le nombre de cas (et les noms précis) qui doivent encore être examinés pour épuiser le sujet des prisonniers politiques. Nous rapporterons à cette commission les noms dont nous avons connaissance; avec les informations que nous avons sur chacun d’eux, nous écouterons les réponses des délégués d’Azerbaïdjan et nous déciderons quels sont les noms qui, à nos yeux, méritent de voir leur cas reconsidérés par la Commission des grâces.

156. Ainsi que le prévoit la Convention européenne des droits de l’homme, maintenant ratifiée par l’Azerbaïdjan, pour ce qui concerne les recours individuels devant la Cour, invoquant des violations des droits de l’homme, l’Etat incriminé doit faire la preuve qu’il n’a pas violé la Convention.

157. De même, s’il y a une plainte par la voie politique, par exemple à propos de l’existence de présumés prisonniers politiques, l’Etat incriminé doit, au cas par cas, démontrer qu’il ne s’agit pas de prisonniers politiques, faute de quoi le nom de cette personne sera inscrit sur la liste qui devrait être soumise à la Commission des grâces.

158. A la demande des autorités d’Azerbaïdjan, il a été stipulé que ce groupe de travail ne ferait pas d’amalgame a priori d’un prisonnier à l’autre, même si plusieurs ont été condamnés dans un procès collectif, mais que chaque cas sera examiné individuellement.

159. Le principe de la mise sur pied de ce groupe de travail mixte a été accepté verbalement par M. Mehdiyev d’abord et par le Président ensuite. J’en attends la confirmation écrite.

160. Il s’agit d’une décision importante qui va permettre, une fois pour toutes, même si cela risque d’exiger plusieurs réunions et de prendre un peu de temps, de vider la question des présumés prisonniers politiques.

      Conclusions provisoires

161. Le Conseil de l’Europe et en particulier son Assemblée parlementaire ne peut admettre que la privation de liberté s’explique essentiellement par des motifs politiques, frappe des opposants, des membres de leurs familles et des supporters et résulte de procès et de jugements dans lesquels les normes du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont pas été respectés.

162. Dans l’intérêt de la réconciliation et donc de la stabilisation de la démocratie en Azerbaïdjan, et pour normaliser les rapports de cet Etat membre avec le Conseil de l’Europe, la meilleure solution serait une amnistie générale pour tous ceux qui, aux yeux du Conseil de l’Europe, sont injustement maintenus en prison.

163. L’Azerbaïdjan doit donc commencer par libérer deux des trois prisonniers cités dans l’Avis n°222 (2000), à savoir MM. Gumbatov et Gamidov, et au moins réviser le procès du troisième, M. Gaziyev, puis libérer les huit prisonniers identifiés comme des prisonniers politiques par les experts indépendants qui sont toujours en prison, enfin libérer Mme Lebedeva, Mme Sikhmaz, M. Muzakir Abdullayev, M. Janmirza Mirzoyev et M. Aydin Shirinov («le petit supplément» demandé à Bakou).

164. Si ces conditions sont remplies avant la date de réunion du Bureau le 21 janvier 2002, il sera encore possible de reporter le débat à l’une des prochaines parties de session de l’Assemblée de cette année.

165. Le temps ainsi mis à profit permettra au groupe de travail tripartite de se réunir à plusieurs reprises à Bakou, afin d’établir la liste des prisonniers politiques présumés que la Commission des grâces devra examiner.

166. Au cas où ces conditions ne seraient pas remplies au 21 janvier 2002, le report du débat ne saurait être une alternative valable, et les moyens de pression politiques nécessaires et suffisants devront être utilisés, face à la trop faible volonté politique manifestée jusqu’ici par les autorités azerbaïdjanaises, y compris la délégation parlementaire d’Azerbaïdjan auprès de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe.

Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Renvoi en commission: Doc. 8919 et renvoi n° 2565 du 26 janvier 2001

Projet de résolution adopté par la commission le 7 janvier 2002 avec 24 voix pour, 2 voix contre et une abstention

Membres de la commission: M. Jansson (Président), M. Magnusson, M. Frunda, Mme Gülek (Vice-présidents), M. Akçali, M. G. Aliyev (remplaçant: M. A. Huseynov), M. Arabadjiev, Mme van Ardenne-van der Hoeven, M. Attard Montalto, M. Bindig, M. Brejc, M. Bruce, M. Bulavinov, M. Chaklein, M. Clerfayt, M. Contestabile, M. Demetriou, M. Dimas, M. Enright, Mme Err, M. Floros, Mme Frimansdóttir, M. Fyodorov, M. Guardans, M. Gustafsson, Mme Hajiyeva, M. Holovaty, M. Irtemçelik, M. Jaskiernia, M. Jurgens, M. Kelemen, Lord Kirkhill, M. Kostytsky, M. S. Kovalev, M. Kresák, M. Kroupa, Mme Krzyzanowska, M. Lacão (remplaçante: Mme Aguiar), Mme Libane, M. Lintner, M. Lippelt, M. Manzella, Mme Markovic-Dimova, M. Marty, M. Mas Torres, M. Masseret, M. McNamara, M. Michel (remplaçant: M. Hunault) M. Moeller (remplaçante: Mme Auken), Mme Nabholz-Haidegger (remplaçant: M. Reimann), M. Nachbar, M. Olteanu, M. Pellicini, M. Penchev, M. Piscitello, Mme Postoico, Mme Roudy, M. Rustamyan, M. Simonsen, M. Skrabalo, M. Solé Tura, M. Spindelegger, M. Stankevic, M. Stoica, Mme Süssmuth, M. Svoboda, M. Symonenko, M. Tabajdi, M. Tallo, Mme Tevdoradze, M. Uriarte, M. Vanoost, M. Vera Jardim, M. Volpinari, M. Wilkinson, Mme Wohlwend, M. Wojcik, Mme Wurm (remplaçante: Mme Stoisits)

N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en italique.

Secrétaires de la commission: Mme Coin, Mme Kleinsorge et M. Ćupina


1 Ce document a été rendu public le 24 octobre 2001 (Document SG/Inf (2001) 34).

2 Document SG/Inf (2001) 34.